Le peuple de la République démocratique du Congo (ex-Zaïre) s’oppose au report des élections qui prolongent la présidence de Kabila. En septembre, les forces de répression ont fait 100 morts. En décembre, Kabila a fait de nouveau tirer sur les manifestants.
De l’Angola au Tchad, l’Afrique centrale est la sous-région la plus touchée par la baisse des cours du pétrole, en passant par la Guinée-Équatoriale, car dépendante de la rente pétrolière. Une résistance oligarchique au respect des règles du jeu démocratique, sous forme d’un nouveau type de régimes autoritaires mêlant multipartisme de droit et confiscation népotique et répressive du pouvoir par des quasi partis-États, est en corrélation avec ce caractère rentier. Ainsi, à contre-courant du vent ayant soufflé à partir de l’Afrique du Nord en 2010-2011, emportant en 2014 le régime de Blaise Compaoré au Burkina Faso, en 2016 les peuples congolais, tchadien et gabonais ont été contraints de subir, pendant encore une mandature, des régimes honnis. Le peuple de la République démocratique du Congo (ex-Zaïre) confronté au report des élections qui prolongeait la présidence de Kabila, compte déjà des dizaines de morts suite à la répression des manifestations populaires. On pourrait ainsi parler d’un « esprit de sous-région ». Sans toutefois oublier qu’en Côte d’Ivoire, Ouattara a fait rédiger une Constitution permettant au président de nommer un tiers des membres du Sénat.
En République du Congo (appelé aussi « Congo Brazzaville »), cet « esprit » s’est manifesté en 2015 par un changement de Constitution sans l’ombre d’une adhésion populaire, suivi en 2016 d’une élection présidentielle ubuesque qui semble depuis se chercher une légitimité par la répression meurtrière de la population dans la région du Pool, à laquelle s’adosse la capitale Brazzaville. Cela dans un contexte social qui se caractérise par des inégalités d’une particulière indécence et un avenir qui s’annonce bien pire, au cas où ne se construirait pas démocratiquement ou populairement une alternative.
Tripatouillage constitutionnel en 2015
Le tripatouillage constitutionnel pour la non-limitation des mandats présidentiels, bien que condamné par l’Union africaine et l’opinion publique, n’a pas empêché le régime de Brazzaville d’initier un tel processus. Le déguerpissage de Blaise Compaoré avait d’un côté donné de l’espoir et de l’énergie à une large majorité du peuple congolais, mais de l’autre côté, il a hanté les jours et les nuits des candidats à la forfaiture. Prenant exemple sur le forcing violent et meurtrier réalisé par le chef de l’État burundais, Pierre Nkurunziza, Denis Sassou-Nguesso a fait le choix de changer de Constitution pour passer par voie référendaire à « une autre République », car l’article 185 de la Consitution adoptée en 2002 à l’initiative de Sassou-Nguesso lui-même disait que le nombre de mandats du Président de la République ne pouvait faire l’objet de révision.
L’organisation de ce référendum a été contestée par une majorité de la population qui, dans les deux villes principales, a répondu massivement , à partir d’août 2015, aux appels à manifester de la principale plateforme de l’opposition l’IDC-FROCAD (Initiative pour la démocratie au Congo et le Front républicain pour le respect de l’ordre constitutionnel et l’alternance démocratique). La répression a été meurtrière à Pointe-Noire (capitale économico-pétrolière) et à Brazzaville. Ce qui, évidemment, n’a pas été le cas pour la contre-manifestation organisée à Brazzaville par le régime en faveur du référendum et du vote « Oui ». Des billets de francs CFA ont servi de facteur de mobilisation, mais craignant malgré cela de mobiliser moins que l’opposition, il aurait même importé des participants de Kinshasa…
Malgré une faible participation constatée par tout observateur – le boycott lancé par la plateforme de l’opposition a été très suivi et renforcé par la migration préventive de nombreuses familles loin de leurs résidences, par crainte de représailles, le pouvoir ayant déployé, de façon assez évidente, des militaires et miliciens – le régime avait néanmoins annoncé des taux de participation (72 %) et par conséquent d’approbation (92,96 %) fantaisistes, rappelant le temps du monopartisme. Mais l’efficience de l’appel au boycott n’avait été relevée ni par RFI, ni par le représentant de l’État français, qui s’en tenait au blanc-seing à la forfaiture finalement donné par François Hollande à son collègue de Brazzaville. La position de fermeté contre les tripatouillages constitutionnels affichée par le président français à l’occasion des grandes messes françafricaines à Kinshasa, puis à Dakar, était ainsi tournée en ridicule par lui-même.
En octobre 2015, le Congo s’était donc retrouvé avec une nouvelle Constitution non reconnue par une large majorité de la population et la principale plateforme de l’opposition. La voie était ainsi ouverte à l’étape suivante : la réélection du président en exercice malgré sa trentaine d’années de pouvoir cumulées (monopartisme, période post-victoire militaire, multipartisme), son âge très avancé (1) et un bilan tellement négatif pour la grande majorité de la population que, pendant son discours d’investiture, il a promis une politique de… rupture : « À compter d’aujourd’hui, créons la rupture avec les mentalités déviantes et les comportements pervers du passé : la paresse, le laxisme, l’irresponsabilité, l’inconscience, la corruption, la fraude, la concussion, l’ethnocentrisme ou l’instinct grégaire, le népotisme et la tendance à la gabegie. À compter d’aujourd’hui, renouons tous avec l’esprit du travail, de la rigueur, de la discipline, de la responsabilité, de la probité, de l’unité nationale, du respect de la chose publique et de l’amour de la patrie. À la rentrée scolaire prochaine, ces valeurs qui procèdent de l’éthique républicaine seront enseignées dans toutes les écoles de la République. »
« Monsieur 8 % » président
Prévue pour juillet 2016, l’élection présidentielle a été avancée en mars 2016. Pris de court, les candidats de l’opposition ne devaient pas ainsi avoir l’occasion de se préparer, de discuter une candidature unique ou de réunir les 25 millions de francs CFA (50 mois de salaire mensuel d’un fonctionnaire civil de catégorie A1 en fin de carrière) exigés par le code électoral censitaire. Cette ruse du pouvoir a été perturbée en février 2016 par la candidature d’une personnalité militaire, le général Jean-Marie Michel Mokoko, qui venait de démissionner de son statut de conseiller du président en exercice et de représentant spécial de la présidente de l’Union africaine en République centrafricaine. Le régime a essayé d’intimider Mokoko, y compris par agression physique, en pleine journée, devant témoins, à l’aéroport de Brazzaville, lors de son retour de Bangui. D’autant plus que sa candidature avait été demandée par une partie des participants à la grande manifestation de l’opposition à Pointe-Noire et qu’il semblait au-dessus du clientélisme ethnique ou régional, caractéristique majeure de presque tous les partis politiques. Ce candidat presque inattendu avait à son actif d’avoir garanti, en tant que chef d’état-major général des armées, le déroulement paisible de la Conférence nationale souveraine en 1991, ayant alors délesté de l’essentiel de ses prérogatives le chef de l’État d’alors (déjà Denis Sassou-Nguesso, régnant depuis douze ans…) et établi les principes de la « démocratisation » au Congo (2).
Le camp de son ancien employeur n’osa pas empêcher légalement sa candidature. La réelle mobilisation populaire en sa faveur, au-delà des appartenances ethniques ou régionales, voire partisanes (l’idée du vote utile pour ce candidat sans parti politique faisait son chemin dans l’électorat) semble avoir dissuadé le pouvoir.
En fait, la commission nationale électorale indépendante (novlangue) sous contrôle, les listes électorales n’ayant pas été soumises à une véritable vérification, il n’y avait pas de réel obstacle à la proclamation de résultats frauduleux, malgré l’instauration, par les cinq candidats de l’opposition IDC-FROCAD et J.-M. M. Mokoko, unis par la Charte de l’opposition pour la victoire, d’une Commission technique électorale, chargée de la récolte parallèle des procès-verbaux par leurs représentants dans l’ensemble des bureaux de vote. Contre celle-ci, le ministère de l’Intérieur a ordonné aux entreprises de télécommunications d’interrompre leurs réseaux le jour de l’élection présidentielle (20 mars) ainsi que le lendemain, afin d’éviter la circulation des résultats par bureau. Interruption prolongée bien au-delà des deux jours indiqués dans la note ministérielle, perturbant ainsi des relations sociales devenues dépendantes de nouvelles technologies et coupant le Congo du reste du monde. Au moment du référendum, l’accès à internet avait déjà été perturbé pendant une longue période. Le général président tchadien Idris Itno Déby, candidat à sa propre succession, s’en est inspiré quelques semaines plus tard.
Malgré les intimidations, les agressions physiques et les arrestations arbitraires, les procès-verbaux ont fini par arriver au siège de la Commission technique électorale et radio-trottoir s’est chargée d’en colporter les contenus. Quand la commission officielle a annoncé, le 25 mars 2016 à 2h30 du matin, la victoire du président sortant au premier tour, avec 60 % des voix (et une participation de 64 %), l’information sur sa défaite dans les trois villes principales, regroupant plus de la moitié du corps électoral, était déjà un secret de polichinelle, défaite d’ailleurs maladroitement reconnue par le secrétaire général du Parti au pouvoir.
Aux 60 % du ministère de l’Intérieur, l’opposition finira, après collecte laborieuse de l’ensemble des procès-verbaux, par opposer un 8 % – un quatrième rang, ne permettant pas au président sortant une participation au deuxième tour.
Ainsi, comme pour éviter toute contestation des résultats, Sassou Nguesso, surnommé maintenant « Monsieur 8 % », avait créé une atmosphère de peur. La rumeur annonçait un déclenchement des violences par ses paramilitaires (encasernés depuis bien plus d’un an) dans des quartiers de Brazzaville considérés comme acquis à l’opposition, que les habitants s’étaient mis de nouveau à déserter. Le 29 mars, l’opération « pays mort » lancé par l’IDC-FROCAD en protestation aux résultats officiels avait connu un certain succès, surtout à Pointe-Noire. Ce qui semblait augurer d’importantes mobilisations en cas de validation de ces résultats par la Cour constitutionnelle.
Déferlement de violence
Dans la nuit du 3 au 4 avril, des quartiers brazzavillois supposés acquis à l’opposition ont été envahis par des gens armés. Quelques bâtiments publics, commissariats de police compris, ont été brûlés. C’est dans cette atmosphère que la Cour constitutionnelle a validé les résultats officiels, en début de soirée du 4 avril. Le bon sens populaire a considéré l’annonce de cette validation comme étant la raison de l’attaque armée, que l’opposition a dénoncée comme une mascarade du pouvoir, instaurant un climat de terreur qui rendait impossible toute mobilisation.
Ces gens armés auraient prétendu appartenir à une milice liée à l’opposition : les « nsilulu » (dits « ninjas » par confusion) de l’ancien seigneur de guerre Frédéric Bitsamou alias Pasteur Ntumi (3), aussi dirigeant d’une secte néo-évangélique. Mais une partie de l’opinion montrait plutôt du doigt une autre milice, dirigée par un parlementaire du pouvoir qui avait publiquement menacé de représailles l’opposition, l’accusant de préparer des troubles post-électoraux. Quant au Pasteur Ntumi, il accusait ouvertement le pouvoir d’avoir armé, en plus de la milice du parlementaire, quelques anciens « ninjas » (milice du Mouvement congolais pour la démocratie et le développement inégral – MCDDI – de Bernard Kolélas, père de l’ex-ministre et candidat à la présidentielle, Brice Parfait Kolélas). Son propos ne manquait pas de crédibilité car lui-même était considéré par certains observateurs comme fabriqué par le pouvoir pour le déclenchement d’une « rébellion » dans la région du Pool en 1998 (4).
Avec la rébellion de 1998, le Pool, réputé porté sur le messianisme politique, recevait du pouvoir un nouveau messie en la personne de Pasteur Ntumi, en remplacement de B. Kolélas exilé avec P. Lissouba après la victoire militaire de Nguesso en 1997. Les exactions de ses « nsilulu » sur les populations ayant fui Bacongo, Makélélélé ainsi que certains villages du Pool, étaient mises au compte des « ninjas » de B. Kolélas pour affaiblir l’influence de celui-ci dans son fief électoral. La guerre des « nsilulu » contre la milice cobra et l’armée nationale de Sassou-Nguesso relevait en fait de la mascarade – mais une mascarade avec de vraies victimes, meurtrière, en concomitance avec la guerre que menait l’armée de Sassou-Nguesso contre les résidus de la milice de P. Lissouba repliée dans la région du Niari. Cet épisode de la « guerre civile » congolaise a pris fin avec la paix signée en 2003 et l’attribution à Ntumi de la Délégation générale.
C’est donc en connaissance de cause que Ntumi parle de mascarade concernant la violence milicienne d’avril 2014, dans laquelle il nie toute implication, mais qui l’a fait passer du statut de Délégué général à la présidence à celui de terroriste (5), traqué aussi bien par des hélicoptères bombardiers que par des troupes au sol, dont des mercenaires. Une fois de plus, c’est la paisible population paupérisée du Pool qui est la principale victime d’une mascarade meurtrière. Une opération dont la ferme dénonciation par l’évêque Mgr Louis Portella Mbulu, avec le soutien de quelques voix de la « société civile » et de l’IDC-FROCAD (dont celle de B. P. Kolélas, député de Kinkala, dans le Pool), fortement relayée dans la diaspora, avait finalement permis un accès limité de l’aide humanitaire dans certaines des zones sinistrées. L’appel à une marche de protestation le 15 avril à Brazzaville, lancé par l’ex-ministre et ex-candidate Claudine Munari (ex-directrice de cabinet de Lissouba), avait été contré par le pouvoir en l’assignant à domicile, encerclée par la force publique pendant des semaines. Il en était d’ailleurs autant de l’autre général candidat qui, malgré les pressions – y compris une implication de la diplomatie françafricaine – refusait de reconnaître la « victoire » du général-président en exercice et demandait l’arrêt des bombardements dans le Pool. Quant à Ntumi, protestant contre l’accusation concernant les violences du 4 avril, accompagnées de bombardement du village lui servant de fief politico-évangélique, il avait demandé une enquête onusienne sur les violences, puis l’ouverture d’un dialogue sous l’égide de la « communauté internationale », rejetés par le pouvoir plutôt décidé à en finir militairement avec celui qu’il ne considère désormais que comme un « terroriste ». Ce qui aurait poussé les « nsilulu » à opter, au nom de la légitime défense, pour la réaction armée aux exactions commises sur la population par des militaires.
Depuis, le Pool demeure une zone d’intervention militaire (6). Ce martyre de la population résidente du Pool s’expliquerait-il par le fait que Sassou-Nguesso n’y était pas parmi les trois premiers selon les résultats de la présidentielle donnés par la commission technique électorale ? Serait-ce plutôt pour éliminer l’ex-complice dans la mascarade criminelle de 1998-2002, alors qu’est de plus en plus évoqué le dépôt d’une plainte à la CPI ? Certains parlent même d’une mascarade de plus avec les nsilulu. D’autres placards, plus anciens, risqueraient aussi d’être (re)ouverts, même si, selon l’article 96 de la nouvelle Constitution, « aucune poursuite pour des faits qualifiés crime ou délit ou pour manquement grave à ses devoirs commis à l’occasion de l’exercice de sa fonction ne peut plus être exercée contre le Président de la République après la cessation de ses fonctions » et que « la violation des dispositions ci-dessus constitue le crime de forfaiture ou de haute trahison conformément à la loi ».
Un ancien collaborateur du régime, l’avocat Massengo Tiassé, a pu sortir incognito du pays et déposer au Conseil onusien des droits humains à Genève un rapport considéré comme accablant sur les exactions commises dans le Pool à partir du 4 avril et autres arrestations arbitraires. Confronté à la persistance de la contestation qu’il ne peut s’empêcher de réprimer, Nkurunziza a tout récemment décidé de faire voter le retrait du Burundi de la CPI. Début novembre, des jeunes de la mouvance présidentielle, accompagnés de la ministre de la Jeunesse, ont manifesté pour le retrait du Congo du CPI. La lutte contre les « terroristes » (Ntumi et ses fidèles nsilulu), le déplacement forcé des populations dans le Pool, s’expliqueraient-ils par la présence de coltan dans les zones subissant les bombardements afin d’en déguerpir la population (7) ? Information basée seulement sur une source,, même si la boulimie d’accumulation capitaliste que manifeste la famille au pouvoir et sa clientèle la rend plausible.
Paupérisation, népotisme, clientélisme
Dans ce pays occupant le quatrième rang des producteurs de pétrole en Afrique subsaharienne et peuplé de moins de cinq millions d’habitants, au moins 50 % de la population est aujourd’hui considérée comme vivant en deçà du seuil de pauvreté (8). Le chômage de la jeunesse tourne autour de 60 %. Les classes de l’école publique atteignent fréquemment plus de 150 élèves, dans plusieurs cas assis à même le sol, dans des pièces exiguës – un des facteurs d’une déscolarisation massive. La situation est évidemment pire pour les filles, surtout en zone rurale, où par ailleurs le déficit en personnel enseignant pousse, dans plusieurs cas, les parents d’élèves à recourir aux services de certains exclus de ce système éducatif pour servir d’enseignants. Pour certaines familles des classes moyennes échappant à la paupérisation, il y a l’école privée, en très grande partie de qualité douteuse et utilisant principalement le personnel salarié de l’école publique, préoccupé de joindre les deux bouts mais se retrouvant ainsi avec une surcharge de travail, au détriment des élèves du public. Malgré la construction en cours des hôpitaux généraux dans tous les départements (qui semble motivée par l’attribution des marchés de BTP au clan au pouvoir) (9), les centres publics de santé à commencer par le centre hospitalier universitaire de Brazzaville sont dans un état lamentable, sans médicaments élémentaires à la disposition des malades, en état d’insalubrité et sous-équipés. Dans les zones rurales les femmes accouchent dans les pires conditions. Le personnel soignant semble avoir été (mal)formé une fois pour toutes, sans mécanismes de formation continue. Certes, il y a une abondance de centres de soins infirmiers privés, mais les dégâts sont tels que la nouvelle ministre de la Santé semble vouloir y mettre de l’ordre, sans avoir prévu de les remplacer. Il y a quelques cabinets privés pour les classes moyennes supérieures et pour soulager les bobos des dirigeants dont les consultations médicales ont lieu généralement au Maroc, en Afrique du Sud, en Europe, voire aux États-Unis. Désormais, ils pourront aussi se rendre dans le village du président – de plus en plus doté d’infrastructures étrangères à la petite paysannerie locale – où vient d’être ouverte une clinique de référence, avec notamment des médecins importés de Cuba.
Une situation sociale dont ne devrait pas se vanter le président auto-reconduit, malgré ce qu’a pu rapporter la production pétrolière avant la baisse récente des cours du pétrole. Cette situation est en partie le résultat de l’importante dette publique extérieure du Congo, qui en tant que pays pauvre très endetté a bénéficié d’un allègement de 1,9 milliard de dollars en 2010, en passant ainsi sous les fourches caudines des institutions de Bretton Woods. Cinq ans plus tard, le FMI classse le Congo à « risque modéré de surendettement », au premier rang des États africains ayant connu une augmentation rapide de la dette publique extérieure (32 % du PIB en 2013, 48,5 % en 2015). Ses emprunts sur les marchés financiers lui ont valu récemment, pour cause de retard dans l’échéancier, une dégradation de sa note par les agences de notation. Mais l’échéance a été assez vite réglée, alors que les étudiants boursiers attendaient depuis des mois le paiement de la bourse, les salariés du CHU leurs salaires, les retraités le versement de leur pension, et alors que les agents des collectivités locales sur l’ensemble du territoire national étaient en grève pour des salaires impayés depuis des mois… Aux dernières nouvelles, pour satisfaire aux exigences du FMI (10), à l’instar du remboursement des créanciers internes (banques, entrepreneurs, etc.), l’État va lever 229 millions d’euros sur le marché obligataire sous-régional (CEMAC), dont le remboursement ne fera qu’empirer à court terme la situation sociale populaire.
Pendant ce temps, non sans lien, s’intensifie l’activisme capitaliste de la famille régnante et de son réseau clientélaire – comptant parmi les « créanciers » – de l’exploitation pétrolière (11) et sa commercialisation à la restauration de « luxe », en passant par l’investissement bancaire, la sécurité privée et le BTP. Une frénésie qui explique un certain « protectionnisme » au niveau local et un laxisme dans l’adaptation à la réglementation néolibérale déploré constamment par Doing Business, cet instrument nocif du FMI qui sert néanmoins de référence positive à bon nombre d’opposants congolais.
Ce n’est pas de l’opposition congolaise que l’on peut attendre des critiques des politiques dictées par les institutions de Bretton Woods. Elle en attend juste une sévérité à l’égard de la fraction gouvernante, considérée comme une exécutante incompétente. La situation est bien pire aujourd’hui que pendant la Conférence nationale souveraine, voire pendant la transition au cours de laquelle quelques critiques de la politique d’ajustement structurel néolibéral étaient émises.
Cet activisme capitaliste s’illustre par la mention des représentants de la fraction au pouvoir dans différentes « affaires » sur la scène internationale (Gunvor en Suisse, Rota do Atlantico au Portugal – avec Asperbras, BAIC au Bénin, etc. –, Panama Papers, etc.), bien au-delà de l’affaire dite des biens mal acquis, dont le traitement en France semble relever d’un rapport de forces entre les magistrats et les réseaux françafricains métropolitains. Par ailleurs, Brazzaville est, depuis 2012, le lieu de célébration annuelle de la croissance du capitalisme africain avec la rencontre Forbes Africa (sous le patronage du chef de l’État, évidemment) dont l’édition francophone du magazine éponyme a pour siège Brazzaville.
C’est cet accaparement familial de l’espace économique local, découlant de la mainmise sur le trésor national, qui explique le passage à l’opposition de certains des anciens alliés de Sassou-Nguesso contre le régime de Pascal Lissouba, déçus de n’avoir pas obtenu une participation aux privilèges proportionnelle à leur investissement dans la victoire de 1997 et à sa consolidation. Des relations de consanguinité, ethniques, régionales, de nouvelles alliances considérées comme plus efficientes ayant pris le dessus sur les anciennes (souvent nouées par la complicité dans le crime), malgré, parfois, une fraternité maçonnique (à propos de laquelle prolifèrent des discours mystificateurs). Comme l’avait exprimé l’ambassade étatsunienne, à la veille de la présidentielle de 2009 : « Les principales figures de l’opposition ne sont pas très différentes de Sassou lui-même. Ils sont de la même génération, ont été actifs dans le Parti congolais du travail (PCT) lorsque le Congo était un État de parti unique, ce sont tous des Maçons. (…) Aucun d’entre eux n’a une vision du futur du Congo différente de celle de Sassou. Les échelons supérieurs du gouvernement sont remplis de gens qui ont peu de compétence technique et qui sont plus intéressés à accompagner le président dans ses voyages – et à percevoir des indemnités journalières – que par la gestion de leurs ministères » (12). Certes 2016 n’est pas 2009, le personnel a relativement changé, mais l’esprit est demeuré le même. En même temps, au sein de la mouvance présidentielle, on observe une guéguerre des réseaux clientélaires dans laquelle a fini par s’imposer comme central le réseau familial (élargi) et au sein de celui-ci les enfants – vu la progéniture très nombreuse de Sassou-Nguesso – qui ne limitent pas leurs ambitions, même si certaines ont été bridées en 2015-2016, concernant la succession dynastique envisagée.
Opposition auto-limitée
C’est principalement contre ce népotisme que se constitue l’opposition. Car il y a consensus sur le néolibéralisme, malgré la préoccupation proclamée à propos de la pauvreté de la population, plus par démagogie que par naïveté. L’essentiel étant d’arriver au pouvoir, après y avoir déjà participé sans entreprendre quoi que ce soit exprimant quelque souci pour le bien-être des subalternes – salariés, jeunesse au chômage et autres démunis, y compris de leurs propres ethnies ou régions (départements). C’est en fait sur les mêmes critères que les institutions de Bretton Woods et assimilées que cette opposition – de l’intérieur comme de la diaspora – évalue l’état de l’économie congolaise, avec usage de l’expression néolibérale de « bonne gouvernance ». En fait, celle-ci ne renvoie pas à une gestion du bien commun ou public selon le principe d’extension permanente de la justice sociale, mais à une gestion en conformité avec les principes du néolibéralisme, une transparence à l’égard des institutions de Bretton Woods, un multipartisme effectif, avec alternance des fractions d’un même projet de classe (capitaliste). C’est ainsi que le gouvernement a pu réagir à certaines critiques de l’opposition sur son incompétence en arguant de son taux de croissance, considéré avant la baisse du prix du pétrole par les institutions financières internationales comme l’un des meilleurs en Afrique. L’opposition, qui se considère sans doute plus compétente à gérer la néolibéralisation en situation d’État dominé, se contentant de préciser que cette croissance ne profite pas à tout le monde, plutôt que de critiquer ce critère d’appréciation et l’idéologie dont il participe.
Dans la lutte menée par cette opposition depuis le retour au pouvoir de Sassou-Nguesso, si à l’occasion un soutien ponctuel a été exprimé à tel syndicat enseignant du public en grève et réprimé ou aux anciens salariés de l’Office national des postes et télécommunications luttant depuis des années pour le paiement de leurs droits, la nécessité d’un mouvement syndical dans la lutte pour la démocratie et le progrès social n’est même pas formulée. Et, pour cause, ces opposants n’en voudraient pas, une fois au pouvoir. Ce sont aussi des capitalistes effectifs ou à venir.
Pourtant, si la Conférence nationale souveraine avait été convoquée en 1991, c’est grâce aussi à la Confédération syndicale congolaise qui s’était détachée du Parti-État et s’était mobilisée. En remontant plus loin, le premier régime postcolonial et kleptocrate congolais, celui de Fulbert Youlou (satrape de De Gaulle, Foccart et Houphouët-Boigny) avait été renversé en 1963 par une insurrection populaire dirigée par une coalition de centrales syndicales.
Que les deux centrales (CSC et CSTC) syndicales congolaises actuelles, du fait de leurs liens avec le pouvoir et avec qui elles ont confirmé, en 2010, un consensus sur la politique des institutions de Bretton Woods (non perturbée en fait par la hausse de 12 % de l’indice salarial des fonctionnaires en 2012) soient restées en dehors de la mobilisation contre le référendum et de la contestation des résultats de l’élection présidentielle est l’un des facteurs explicatifs de l’échec de la dynamique anti-tripatouillage constitutionnel.
À la différence du Congo, la chute de Blaise Compaoré au Burkina Faso était possible du fait de l’implication de certains courants du mouvement syndical et de l’existence d’un mouvement social, riche de sa diversité, dont l’accumulation des forces remonte à la mobilisation au lendemain de l’assassinat, en décembre 1998, du journaliste Norbert Zongo (13). Ce mouvement contre l’impunité avait pu intégrer aussi la critique de l’ajustement structurel néolibéral, aux effets sociaux nocifs pour les classes populaires.
Une telle dynamique est inexistante au Congo. Les rares rappeurs congolais s’étant intéressés à la mobilisation contre le tripatouillage constitutionnel, à l’instar du groupe 2Mondes, n’avaient pas (à la différence de Y en a marre au Sénégal ou du Balai citoyen au Burkina Faso – des pays où existent encore des traditions de gauche radicale, des secteurs de la société civile dont des syndicats impliqués dans la dynamique altermondialiste) un véritable travail de terrain antérieur dans les couches sociales les plus démunies ni une dynamique altermondialiste locale (au-delà de deux associations s’y référant à l’international). Il n’y avait pas non plus de mouvement d’auto-organisation dans les quartiers pauvres. Les traumatismes des violences de 1993-1997, 1998-2002, le dispositif répressif du pouvoir ainsi que la nature des partis politiques congolais (procapitalistes, clientélistes ethniques/régionaux, à démocratie interne trop déficitaire) n’ont pas favorisé l’émergence d’une telle dynamique.
L’alternance par les urnes ayant échoué, l’opposition en est à appeler à un « dialogue inclusif » post-électoral, voire à des États Généraux de la Nation avec la fraction qui a pu se maintenir au pouvoir en foulant aux pieds des accords établis pendant des « dialogues » organisés depuis 2011. Aurait-elle fait tout cela pour accepter en fin de compte « une période de recomposition, avec un gouvernement de transition qui gérerait le pays jusqu’à l’organisation de nouvelles élections claires et transparentes », alors que rien dans le rapport des forces ne l’y contraint ? Car cette opposition a brisé l’élan de la mobilisation populaire pacifique. Certains de ses leaders, aux clientèles électorales ethniques/régionales, semblent vouloir éviter d’être brimés par la machine à frauder lors des législatives. Opposition qui attend encore un soutien de la « communauté internationale », considérée comme préoccupée par le respect des règles démocratiques en Afrique, même si ses prises de position, à géométrie variable, s’avèrent plus des gesticulations occasionnant plutôt des voyages, des expositions médiatiques, des frais de mission pour ses émissaires.
France, puissance tutélaire
En la matière, en zone françafricaine prévaut par principe la position de la France, puissance tutélaire (ayant, par exemple, engagé l’ONU au Mali et en Centrafrique). Or, après quelques sorties spectaculaires contre le tripatouillage constitutionnel, auxquelles l’exfiltration de Compaoré par l’armée française en octobre 2014 donnait un air de détermination élyséenne, François Hollande a vite fait de renouer avec la dimension françafricaine en se prononçant, de façon emberlificotée, sur le bon droit du référendum constitutionnel. À travers la nomination d’un nouvel ambassadeur à Brazzaville, il a fini par reconnaître les résultats officiels après avoir traîné les pieds au rythme des désaccords au sein du PS, voire au sein de l’Union européenne (14).
Entre la proclamation officielle des résultats à Brazzaville et la reprise du cours normal des relations entre les deux États, il y a même eu la réception à l’Élysée de l’écrivain congolo-français Alain Mabanckou, devenu un des porte-voix à l’extérieur de la contestation de l’imposture. Est-ce par naïveté ou pour une amplification de la médiatisation internationale de la situation congolaise, bombardements dans le Pool compris, que le Français originaire du Congo, occupant en 2015-2016 la chaire de Création artistique au Collège de France, a sollicité cette rencontre ? Pensait-il apporter au chef de l’État français plus d’éléments d’appréciation de la situation congolaise ? Était-ce de sa part une surprise de se rendre compte à l’issue de sa rencontre, qu’au sommet de la République Française les intérêts économiques prévalaient sur le respect des règles démocratiques ? La France rappelle encore qu’elle est le premier partenaire du Congo, car celui-ci est son premier client et son deuxième partenaire économique (après le Cameroun) en Afrique centrale, le cinquième importateur des marchandises françaises en Afrique subsaharienne, et le troisième solde positif pour la France en Afrique subsaharienne (après le Sénégal, deuxième, et l’Afrique du Sud, premier). Ce qui n’est pas rien en ces temps de concurrence néolibérale pour les marchés africains.
D’autant que, selon les informations disponibles à la direction générale du Trésor français en juin 2016, entre 2012 et 2015 la France est passée du premier au troisième rang de principaux fournisseurs du Congo, alors que la Chine est passée de la deuxième à la première place. Et qu’à l’occasion du voyage post-électoral de Sassou-Nguesso en Chine, le Congo est devenu un « pays pilote » de la coopération chinoise en Afrique, avec aussi un projet de convertibilité du FCFA (monnaie interétatique arrimée à l’euro, par l’intermédiaire du Trésor français) en yuan, par le biais de la Banque sino-congolaise pour l’Afrique en fonction depuis juillet 2016 à Brazzaville. Face à cette poussée de la Chine, François Hollande dont la serviabilité à l’égard du capital français est hors de doute ne pouvait en compromettre les intérêts. D’ailleurs, au moment où Mabanckou était reçu à l’Élysée, une mission du Medef (patronat français) au Congo était en préparation. Car François Hollande se veut à la reconquête du terrain perdu dans le traditionnel pré carré français et au-delà (15).
Comme la quasi-totalité de l’opposition congolaise dans la métropole françafricaine, Mabanckou reste prisonnier du cadre politique officiel. De ce fait, la Françafrique est considérée comme une déviation et non une des constituantes de la République Française, puissance capitaliste. D’où les espoirs placés en son temps dans l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand, ancien ministre de l’Intérieur de la France coloniale ayant contribué, en s’appuyant sur Houphouët-Boigny, à la droitisation du Rassemblement démocratique africain. Espoirs vite douchés mais qui ont connu une renaissance avec l’élection de F. Hollande dont l’attitude a conduit bon nombre de Congolais dans la métropole françafricaine vers une sympathie pour le… Front national, déplorée par Alain Mabanckou (16). Car le parti de Marine Le Pen s’est particularisé dans le soutien à la mobilisation congolaise contre le tripatouillage constitutionnel – non par quelque attachement à la démocratie, mais de liens avec B. P. Kolélas. Aussi bien ceux qui s’illusionnaient sur Hollande que ceux qui se sont déportés sur le FN ont prouvé la persistance de la colonialité de la conscience politique parmi les Congolo-Français, l’inexistence d’un lien entre l’alternance et l’alternative.
L’alternance ne suffit pas
La lutte pour l’alternance est légitime et nécessaire, surtout avec la menace de succession dynastique. Elle peut être une école d’éducation politique pour celles et ceux qui suivent candidement les partis actuels et leurs leaders. Des interrogations naissent déjà sur les motivations politiques réelles de ces dirigeants, qui se sont opposés au référendum constitutionnel, n’ont pas reconnu la constitution promulguée, mais ont néanmoins été candidats à la présidentielle. Des dirigeants qui ne se sont pas saisi des résultats de la commission technique électorale pour réaliser la promesse d’une paralysie nationale post-électorale, mais se sont plutôt contredits, opposés, alors qu’il y avait une attente perceptible pendant les premières semaines ayant suivi l’annonce des résultats.
Alors que des dirigeants des partis de la principale plateforme de l’opposition (dont un candidat) sont incarcérés, que continuent les opérations militaires dans le Pool, certains partis annoncent déjà leur préparation des élections législatives. Tel regroupement de partis de l’opposition offre le spectacle d’un putsch interne, tel autre leader de parti semble préoccupé par le rang de chef de l’opposition… Serait-ce à partir des résultats de la présidentielle ? Du nombre de parlementaires qui seront élus ? Dans l’opinion publique, on parle même d’une nomination des élus par la présidence de la République, qui demeure maîtresse de la « gouvernance électorale ». Être parlementaire donne accès à une bonne rente de situation, même si elle n’équivaut pas à celle des ministres (de 5 à 10 millions de FCFA par mois, soit de 55 fois à 111 fois le salaire minimum officiel dans la Fonction publique) ou de certains directeurs généraux. Elle permet de vivre très au-dessus du peuple, d’être ou se projeter en capitaliste – considéré comme l’unique idéal socio-politique –, avec la possibilité de jeter, de temps à autre, quelques miettes à son électorat, en vue d’une prochaine candidature. Ainsi, les parlementaires de l’opposition comme de la fraction dirigeante contribuent à la propagation exponentielle de la vénalité dans la société congolaise. La lutte pour l’alternance ne peut que permettre le remplacement d’une fraction par une autre fraction plus ou moins soucieuse de « bonne gouvernance ». Ainsi, pour ne pas se limiter à un changement de gestionnaires de la pauvreté, de la misère des classes populaires et de leur oppression, il faut lutter pour l’alternative. Si la conscience populaire actuelle est produite par le cocktail de la néolibéralisation et d’une forte dose de l’ethnisme/régionalisme, des résultats du candidat Mokoko (ressortissant du Nord) dans le Sud (1er dans le Kouilou, 2e à Pointe-Noire, 2e dans le Pool, 2e à Brazzaville devant Sassou-Nguesso) manifestent aussi une certaine flexibilité de la préférence ethnique électorale dans la population, une sorte de conscience politique nationalitaire, même par défaut. Avec un projet politique construit dans une dynamique incluant l’auto-organisation populaire sur la base d’un projet social et politique alternatif, la conscience d’appartenance ethnique/régionale pourrait exister sans se transformer en ethnisme/régionalisme. Au contraire, une critique du pouvoir mettant en avant l’appartenance ethnique/régionale de Sassou-Nguesso, participe à son renforcement en naturalisant l’ethnisme et en évitant de mettre les comportements des acteurs politiques en rapport avec leurs conditions sociales et leurs ambitions . Il est impossible de ne pas prendre en compte les disparités sociales qui traversent toutes les ethnies/régions (départements), ni l’identité des intérêts – facteur de concurrence et de conflictualité – au sein de la classe politique au-delà de l’instrumentalisation de l’appartenance ethnique ou régionale par chacune de ses fractions. Cette identité des intérêts de la classe politique ne doit pas être mise entre parenthèses, même en cas d’alliance tactique pour l’alternance. L’alliance n’est pas l’effacement des différences. Critiquer la fraction gouvernante actuelle devrait se faire, non seulement en critiquant le népotisme ou le régionalisme mais en critiquant le projet économico-social néolibéral du pouvoir. C’est ce projet qui explique l’instrumentalisation de l’ethnicité, le refus de la démocratie.
Il manque actuellement au Congo un courant politique alternatif, producteur d’une culture politique sachant s’inspirer des leçons de l’Autocritique du M22 (17), de l’échec des Forces du changement à l’issue de la Conférence nationale souveraine, de la (re)caporalisation postérieure du mouvement syndical, et dont la vie dépendra aussi de l’existence d’un mouvement social, d’une auto-organisation des classes populaires exploitées et opprimées, du genre féminin, de la jeunesse. Hâtons-nous de les construire lentement.
Notes :
1. Sassou-Nguesso n’aurait pas réussi à faire admettre à certains de ses fidèles et à la direction de son parti la candidature de l’un de ses fils.
2. L’implication présumée du général Jean-Marie Michel Mokoko dans une tentative de putsch militaire contre le gouvernement de transition post-Conférence nationale souveraine (1991-1992) était déjà oubliée.
3. Le Pasteur Ntumi (ce nom signifiant « envoyé », sous-entendu « de Dieu ») était, jusqu’à son limogeage le 6 avril 2016, en charge de la Délégation générale chargée de la promotion des valeurs de paix et de la réparation des séquelles de guerre, rattachée au cabinet du président de la République.
4. Cette rébellion avait servi de prétexte pour réprimer gravement la population, à partir des quartiers de Bacongo et Makélékélé de Brazzaville jusqu’au Pool, fief électoral du MCDDI de Bernard Kolélas, considéré comme renégat par Sassou-Nguesso. Car après avoir en 1993 servi avec ses miliciens de bélier de l’alliance du PCT de Sassou-Nguesso et de la Françafrique (irritée par la hausse de la part congolaise dans le partage de la rente pétrolière avec Elf) contre le président Pascal Lissouba, issu des premières élections « libres et transparentes » qui ont suivi la Conférence nationale souveraine de 1991, B. Kolélas (arrivé deuxième au premier tour de ces élections, après Lissouba mais devant Sassous-Nguesso) s’était retrouvé, en 1997, Premier ministre de Lissouba. Sassou-Nguesso avait alors déclenché en juin 1997 et remporté en octobre une « guerre civile » avec le soutien du président français Jacques Chirac et de l’Angola.
5. Le dernier jour de la campagne électorale présidentielle, son escorte regagnant son fief dans le Pool avait été attaquée par la police nationale en sortant de Brazzaville et un de ses gardes avait perdu la vie. Monsieur le Délégué général a eu le tort de s’afficher au meeting de campagne du candidat Brice Parfait Kolelas, dont il avait rallié l’équipe de campagne, et de soutenir publiquement les candidats de la Charte de l’opposition pour la victoire.
6. En réponse aux questions posées au gouvernement au cours d’une séance de l’Assemblée nationale par le député Brice Parfait Kolélas (reparti siéger, en attendant les prochaines élections législatives), le Premier ministre Clément Mouamba a infirmé l’existence de bombardements dans le Pool. Mais dans une déclaration, publiée au même moment par un des collectifs de partis de l’opposition (dirigé par certains de ses amis politiques jusqu’à une date récente), il est question de l’extension des bombardements au-delà du département du Pool et d’un hélicoptère abattu avec ses occupants est-européens. Ce collectif semble ne pas exclure l’implication de Ntumi dans cette mascarade tragique.
7. Comme l’affirme un article publié le 4 octobre 2016 par un opposant de la diaspora congolaise, Bishikanda-dia-Pool, sur un blog de mediapart.fr : « Sassou vide le Pool de ses habitants pour le “Coltan” ».
8. Cf. Alain Mizellé, « Pourquoi les cessions d’intérêts d’ENI et de Total E&P aux pilleurs du régime Sassou-Nguesso constituent des crimes économiques ? » (http://congo-liberty.com/?p=13093).
9. Avec la situation dans le Pool, les trains ne peuvent plus atteindre Brazzaville qui dépend en grande partie des marchandises en provenance de la ville portuaire de Pointe-Noire, des denrées alimentaires produites dans les départements du Sud dont le Pool. Ce qui crée une rareté et une hausse des prix des denrées de première nécessité acheminées par la route – hormis du Pool – voire importées de Kinshasa. Ce sont évidemment les pauvres qui en pâtissent.
10. Voir, par exemple, Marc Guéniat, « Palace à Venise et villa au Portugal : il fait bon être ministre des finances à Brazzaville », le Monde, 2 décembre 2016 (ou http://www.journaldebrazza.com/article.php?aid=8747)
11. FMI, Communiqué de presse n° 16/493, « Les services du FMI achèvent leur mission de 2016 au titre de l’article IV en République du Congo », 8 novembre 2016, http://www.imf.org/fr/News/Articles/2016/11/08/PR16493-¬Republic-¬of-¬Congo-¬IMF-¬Staff-¬Completes-¬2016-¬Article-¬IV-¬Mission
12. Câble confidentiel de l’ambassadeur des États-Unis à Brazzaville, Alan Eastham, du 1er juillet 2009 : « Congo-B/EU : PRESIDENTIAL ELECTION “NOT A PRIORITY FOR BRUSSELS” » (https://wikileaks.org/plusd/cables/09BRAZZAVILLE198_a.html). Le diplomate rapporte les raisons, présentées par l’ambassadeur portugais Miguel Amado, du non-envoi des observateurs lors de l’élection présidentielle à venir : « Encore plus important, dit-il, Bruxelles ne croit pas que les conditions au Congo-Brazzaville soient propices à la tenue d’élections libres et équitables ».
13. Lila Chouli, « Après la révolte populaire. “Système Compaoré sans Compaoré” ? », Inprecor n° 611 de janvier 2015.
14. Dans le câble cité de l’ambassade étatsunienne, il est aussi affirmé : « Amado a déclaré que l’ambassade de France a un point de vue plus accommodant vis-à-vis des Congolais que l’UE et que l’engagement de l’UE avec Brazzaville est séparé des relations bilatérales de la France avec le Congo, bien qu’à l’occasion ils se chevauchent ». En 2015-2016, l’ambassadrice de la délégation de l’Union européenne au Congo, Saskia de Lang, n’ayant pas caché son opinion désapprobatrice sur le référendum et la présidentielle, les autorités congolaises ont fini par demander son rappel par Bruxelles, mais sans l’obtenir.
15. Hubert Védrine, Lionel Zinsou, Tidjane Thiam, Jean-Michel Severino, Hakim El Karoui, Un partenariat pour l’avenir : 15 propositions pour une nouvelle dynamique économique entre l’Afrique et la France, Ministère de l’Économie et des Finances (France), décembre 2013. Cf. l’analyse critique qu’en fait Jean Batou, « Le redéploiement de l’impérialisme français en Afrique et la sidération humanitaire de la gauche », Inprecor n° 601/602 de janvier-février 2014.
16. Alain Mabanckou parle d’« un parti nationaliste qui s’est immiscé dans le débat congolais. J’étais d’ailleurs navré de remarquer que certains de mes compatriotes épousaient ces dires populistes de dernière minute d’un parti plutôt porté par un élan de nostalgie coloniale », A. Mabanckou (propos recueillis par Valérie Marin La Meslée), « Cette élection est frappée de petite vérole », Le Point, 25 mars 2016 (http://www.lepoint.fr/monde/congo-alain-mabanckou-cette-election-est-frappee-de-petite-verole-25-03-2016-2027848_24.php)
17. Le M22 ou Mouvement du 22 février est issu d’une aile gauche du PCT, autour d’Ange Diawara et Jean-Baptiste Ikoko, qui s’est démarqué du président Marien Ngouabi en fustigeant l’embourgeoisement, la corruption et le népotisme, du courant décrié comme oligarchie bureaucratique militaro-tribaliste (« obumitri ») soumise à l’impérialisme, dont faisait partie l’actuel président congolais. Après l’échec d’une tentative de coup d’État le 22 février 1972 et une répression massive, Diawara, Ikoko et les autres rescapés (ressortissants de toutes les régions), s’inspirant de Che Guevara, ont organisé un « foyer révolutionnaire » dans les environs de Goma Tsé-tsé, à quelques dizaines de kilomètres de Brazzaville, dans le Pool. Forcés de se replier au Zaïre, arrêtés par les forces de Mobutu, ils ont été livrés par ce dernier à Ngouabi en échange d’opposants zaïrois (immédiatement exécutés), assassinés et leurs corps mutilés furent exhibés au Stade de la Révolution à Brazaville le 24 avril 1973. Avant leur assassinat, Ange Diawara, Jean-Baptiste Ikoko, Jean-Claude Bakekolo et Jean-Pierre Olouka ont écrit un livre, Autocritique du M22 – Le mouvement révolutionnaire du 22 février 1972 au Congo-Brazaville, qui a longtemps circulé sous le manteau au Congo et a fini par être publié par l’Harmattan en 2012. Cf. aussi le témoignage de Pierre Eboundit (entretiens avec Henda Diogène Senny), « Le M22. Une expérience au Congo. Devoir de mémoire », Paris, éditions Ccinia communication, 2009.
Source : inprecor