Les révolutions sociales transforment les relations de productions. Celle de 1789-1792 abolissait les relations de l’Ancien régime où une classe privilégiée gouverna les classes inférieures des bourgeois, travailleurs et paysans. Dorénavant tout le monde était égal devant la loi, mais pas devant le pouvoir économique : les bourgeois acquièrent le monopole des moyens de productions et les travailleurs étaient obligés de vendre leur force de travail. Mais les révolutionnaires se rendent plus ou moins instinctivement compte qu’il faut un ciment idéologique pour maintenir l’unité de la société caractérisée par des nouvelles formes et structures d’exploitation et d’oppression. Ils transforment également la culture. Un élément culturel central de l’État bourgeois était et est toujours le nationalisme, accompagné de ses produits dérivés comme la xénophobie, le racisme, guerriers. Ainsi l’idée coloniale était présentée comme l’introduction de la civilisation chez les sauvages.
Les arts en subissaient les conséquences. Si l’épopée était la forme littéraire par excellence de la société antique, le roman devint la forme littéraire par excellence de la société bourgeoise. Si la peinture et dans une certaine mesure la musique étaient des formes de représentation de l’aristocratie, elles expriment dans la société bourgeoise des émotions et des attitudes individuelles. L’art pour l’art est la forme exemplaire de cette situation. Si les anciens artistes vivaient grâce au mécénat, aujourd’hui ils dépendent du marché. Mais si le système capitaliste est traversé par des crises, des conflits sociaux et des mouvements révolutionnaires, elle l’est aussi dans le domaine de la culture. On conteste les relations patriarcales, les choix sexuels, l’éducation, la marchandisation des relations humaines et des produits artistiques, etc. C’est cette contestation concrète qui posera les bases d’une nouvelle culture une fois que le capitalisme aboli, c’est-à-dire quand les valeurs d’usages auront pris le dessus sur les valeurs d’échange, quand les classes auront disparu. Il est impossible aujourd’hui de se faire une idée précise de cette nouvelle culture, car elle sera le produit du peuple dans ses luttes autonomes, et non la prescription d’une bureaucratie éclairée qui sait ce qui est bien et bon pour les gens d’en bas. Tout comme nous avons laissé derrière nous les bleus des « socialistes utopiques » nous nous passerons des projets des « potentats prolétariens » de la culture.
La recherche de nouvelles formes de culture dans la jeune république soviétique se faisait dans un environnement ouvrier pauvre et dans un océan de paysans incultes. Les résultats ont été très intéressants mais aussi très limités. Il est beau de produire des maisons « communautaires » mais si on n’a pas de lave-vaisselle, de lave-linge et autres instruments pour changer de fond en comble le travail domestique, on reste dans le bla-bla.
L’expression « révolution culturelle » rappellera les lecteurs d’un certain âge à la Grrrande Rrrrévolution Culturrrelle Prrrolétarienne qui bouleversa la Chine dans les années 1960. C’était bien une révolution culturelle et un grand désastre. On appelait les jeunes à combattre l’idéologie confucianiste en laissant dans le vague le contenu de cette idéologie. On pu ainsi stigmatiser l’ennemi politique comme les fractions qui contestaient la politique économique et sociale de Mao Zedong. C’était une grande fumisterie, une manipulation des diverses cliques bureaucratiques qui se combattaient. Elle a coûté beaucoup de vies et détruit beaucoup d’œuvres d’arts. Selon le Grand Timonier la révolution ce n’est une soirée de gala. Cela va de soi, mais nous ne voulons pas non plus qu’elle devienne une orgie barbare.
(La semaine prochaine : La politesse de la marchandise)
graf-montage: Little Shiva