Tariq Ali, militant et écrivain anglo-pakistanais a publié des livres plein de qualités. Parmi ceux traduits en français, on peut citer des romans comme la suite que constitue le Quintet de l’Islam et des essais, notamment sur les menées des États-Unis en Irak. Avec Berlin-Moscou, publié en anglais en 1998 et une première fois en français en 2001, c’est à tout autre chose qu’il s’attaque : la période qui va des années 20 aux années qui ont suivi la chute du mur de Berlin.
Vlady, le personnage principal, est un intellectuel berlinois qui fut un dissident actif à l’époque de la RDA. Après la réunification, il a perdu son poste à l’université Humboldt car resté trop marxiste. Sa mère Gertrud lui a toujours dit que son père (qu’il n’a pas connu) était Ludwig.
Ludwig, c’est un héros, Ignace Reiss, cet agent des services secrets soviétiques qui rompit publiquement avec Staline en 1937, annonça son ralliement à Trotski et fut dans les semaines qui suivirent assassiné par les sbires du Kremlin. Un certain nombre de chapitres du livre constituent une biographie romancée de Ludwig. Celui-ci mérite certes qu’on s’intéresse à son itinéraire décrit dans l’ouvrage authentique et éclairant de sa femme Elisabeth K. Poretski, les Nôtres (1).
L’autre volet du livre, c’est surtout le parcours de Vlady, qui arrivera à cerner qui a vraiment été sa mère et découvrira qu’il a été dans une certaine mesure manipulé. Il y a aussi son ami Sao, combattant de la guerre du Vietnam, écarté ensuite par le PC, et qui survit désormais (très bien) dans les affaires…
La première phrase du livre résume l’état d’esprit de Vlady (dont le fils est devenu un social-démocrate plutôt arriviste) : « Aujourd’hui le monde est morne et vide. Le soleil a disparu derrière une toundra gelée ». Il est curieux que le seul personnage qui soutienne au moment du dénouement que l’histoire n’est pas finie et que « notre heure reviendra » soit un ancien chef des services des renseignements est-allemand. Celui-ci est visiblement inspiré d’un personnage réel, Markus Wolf, dirigeant du service des renseignements extérieur de la police secrète de la RDA. Il conseille à Vlady de recommencer à militer et d’adhérer au PDS…
Au final, un livre qui laisse une curieuse impression. Pour l’authenticité historique sur Ludwig et ses compagnons, y compris sur celle qui est la mère du Vlady du roman et qui a vraiment existé, il faut lire les Nôtres.
Sabine Wespieser éditeur, 2014, 25 euros
1 – Les Nôtres, Elisabeth K. Poretski, Babel, 9,70 euros
Source : NPA