Nous étions une petite quarantaine ce matin à nous retrouver à la gare de Roux pour nous rendre ensemble au cimetière de la localité et nous incliner devant la stèle en l’honneur des dix-neuf ouvriers abattus sans sommation par la troupe lors de la révolte de mars 1886.
Nous aurions dû être plus nombreux. Beaucoup plus nombreux. En effet, l’appel avait été lancé par la FGTB de Charleroi-Sud-Hainaut, relayé au niveau national par la Centrale Générale, rejoint par la CSC carolo. Une magnifique initiative. Le tract diffusé par le front commun FGTB-CSC local dénotait une belle combativité.
Nous le citons intégralement :
« Il y a 130 ans, nos grèves ont sorti les enfants des mines.
« Assommés par le travail et excédés par les baisses de salaire, abrutis par la misère et poussés par la faim, scandalisés par la richesse des bourgeois, les travailleurs se sont révoltés, en mars 1886, c’est la grève !
« A Roux, 19 ouvriers ont été tués par les fusils de la police et de l’armée. Des travailleurs ont été condamnés pour « faits de grève ».
« Mais grâce à ces luttes, les toutes premières lois sociales furent votées : interdiction du travail des enfants, assurance maladie obligatoire à la charge de l’employeur, première reconnaissance des organisations syndicales… et le Suffrage Universel !!
« Aujourd’hui, gouvernement et patronat veulent casser nos moyens de défense ! Ils s’attaquent à nos conquêtes sociales. Ils veulent balayer tous nos droits collectifs qui sont à la base de nos libertés : pension à 67 ans, saut d’index, contrat 0 heures, retour au 40h/semaine, …
« En plus, ils veulent casser le droit de grève et la liberté d’action collective. C’est pour ça qu’ils veulent interdire les piquets devant les zonings, rond points, … Ils rêvent d’imposer un service minimum dans les transports publics et une personnalité juridique aux syndicats pour vider les caisses de grève. Ils nous envoient les huissiers et les astreintes lors des conflits collectifs.
« Comme ailleurs en Europe, ils veulent bâillonner toute contestation sociale. Les patrons et le Gouvernement veulent qu’on la ferme, à nous de l’ouvrir !
« Soyons nombreux pour commémorer les travailleurs fusillés de mars 1886 ! Nous ne marchanderons pas nos libertés et nos droits à l’action collective ! »
Hélas, il a suffi d’une interdiction de police dans le cadre de la menace de niveau 4 pour que les responsables syndicaux annulent le rassemblement. Une attitude qui tranche avec leur comportement après les attentats de Paris, quand le front commun du Hainaut avait maintenu la grève de 24 heures prévue dans le cadre de son plan d’action contre l’austérité.
Les attaques violentes dont les syndicats ont été victimes de la part de la presse, en novembre dernier, contribuent-elles à expliquer le changement d’attitude actuel ? Toujours est-il que plusieurs milieux militants dans la région de Charleroi ont estimé que l’annulation de l’hommage aux victimes de 1886 faisait le jeu à la fois des terroristes et du gouvernement de droite, qui prend prétexte de la menace pour attaquer les libertés démocratiques et les droits syndicaux.
Dès le mardi 22 mars au soir, le groupe carolo de la LCR estimait sur les réseaux sociaux que « l’annulation de cette commémoration est indigne de nos ancêtres, de leur combat, de leur courage, de leurs morts. » Et concluait : « Nous n’avons besoin d’aucune autorisation pour entretenir la mémoire des révoltes ouvrières sans lesquelles nous n’aurions pas le droit de vote et les enfants travailleraient encore dans les mines. » Les camarades du parti Communiste prenaient une position analogue.
Les jeunes FGTB ayant décidé de maintenir le rendez-vous, nous nous sommes donc rassemblés sous la pluie ce vendredi matin. Au nom des Jeunes FGTB, François D’Agostino a remercié les camarades présents qui ont eu le courage de désobéir non seulement à la police mais aussi aux consignes syndicales. (photo)
Daniel Tanuro, au nom de la LCR, a rappelé les paroles d’Antonio Gramsci – « Celui qui ne sait pas d’où il vient ne sait pas où il va » – et dénoncé l’accélération de la marche à l’Etat fort sous couvert de lutte anti-terroriste.
Freddy Visconti a ensuite pris la parole au nom du Parti Communiste, dont des militants dévoués étaient venus deux jours auparavant nettoyer la stèle à la mémoire des « victimes des journées sanglantes de mars 1886 ».
Une chaleureuse Internationale a ensuite retenti dans le cimetière.
En redescendant vers la gare, un camarade faisait remarquer que le courrier du secrétariat interprofessionnel de la FGTB annonçant l’annulation de la manifestation portait en signature cette citation de Bertolt Brecht : « Celui qui lutte peut perdre, celui qui ne lutte pas a déjà perdu ».