Entretien. Plus d’un mois de grève dans un palace parisien, à deux pas de la place de l’Étoile, ce n’est pas ordinaire. Et le succès des grévistes. Chafikha , élue et déléguée syndicale CGT, et Anaïs, déléguée du personnel, femmes de chambre toutes les deux, ont répondu à nos questions.
Les lecteurEs de l’Anticapitaliste ne sont pas habitués aux hôtels de prestige… Qu’est-ce qu’un hôtel de prestige comme le Royal Monceau ?
Le Royal Monceau, c’est avant tout 140 « chambres » dont les prix à la nuit vont de 1 000 à 25 000 euros pour les suites, avec des repas aux prix du même ordre et le brunch à 100 euros. Certaines vedettes du monde du spectacle peuvent ainsi occuper une suite à 15 000 euros la nuit pendant un mois., ou tel chef d’État ou d’émirat, une semaine dans une suite à 25 000 euros.
Pour assurer tout cela, nous sommes près de 400 salariéEs, la plupart en CDI, auxquels viennent s’ajouter quelques CDD, intérimaires et surtout des extras en période haute, dont près de la moitié de femmes.
Les métiers sont multiples, depuis les femmes de chambre jusqu’aux voituriers, en passant par les équipiers, les gouvernantes, les cuisiniers, vitriers, etc. Nos salaires vont de 1 200 euros à 1 800 euros net, sans les primes – importantes – qui existent dans les autres hôtels de prestige.
Le propriétaire est Katara, un fonds d’investissement qatari qui possède également, entre autres, les hôtels Peninsula à Paris et Carlton à Cannes. Le chiffre d’affaires de 46,5 millions d’euros a progressé de 20 % de 2013 à 2014 alors que la masse salariale était en baisse de 10 % par rapport au chiffre d’affaires.
Les conditions de travail ?
Tous les postes sont durs. Il faut de la productivité : nombre de lits, de chambres, de repas, toujours en augmentation, entretien de tous les lieux, cela sans les effectifs nécessaires, sans remplacement des absentEs. Les déménagements et aménagements constants imposent transport de charges et travail rapide et discret. Il faut aussi avoir le contact avec des clients exigeants à la hauteur de leurs moyens : « sourire excellence » et « attention aux clients » sont les mots d’ordre quotidiens. On est bien vu si on parle anglais ou d’autres langues… mais ça ne donne aucune contrepartie en matière de salaires…
Comment a démarré votre lutte ?
C’est lors de notre soutien à la lutte – et à la victoire – des salariéEs de l’hôtel Park Hyatt que nous est venue l’idée que, nous aussi, on pouvait se rebeller, se bagarrer, faire grève. Depuis la réouverture de l’hôtel, tous les salariéEs se sont totalement investis dans la mise en route de l’hôtel.
Mais la direction refusait toujours de répondre à nos revendications. En guise de dialogue social, c’était « on verra plus tard »… Aucune reconnaissance de notre travail, de l’engagement des salariéEs pour que l’hôtel soit à la hauteur de son prestige. La reconnaissance devait passer par les challenges à l’américaine, l’employé du mois, des choses qui ne cherchent qu’à diviser les salariéEs, à les mettre en compétition. Alors « on a grèvé » !
36 jours de grève, c’est dur, dur ?
Bien sûr parce que cela veut dire plus d’un mois dehors, qu’il pleuve, qu’il fasse froid… C’est aussi plus d’un mois sans salaires pour des salariéEs ayant déjà des petits salaires, donc déjà des difficultés en temps ordinaire. Avec en plus des familles monoparentales, pour lesquelles c’est vraiment la galère. De plus, on subit les pressions des petitEs chefs, les menaces : Paris, c’est petit, les grévistes ne trouveront plus jamais de boulot…
La direction a tenté de nous faire remplacer par des extras. Il a fallu que nous allions en justice et heureusement, nous avons gagné, même si la direction a fait appel. Mais ils n’ont obtenu que l’obligation pour nous de faire moins de bruit dans la rue, devant l’hôtel.
Pendant quinze jours, la direction a refusé toute négociation. Ils espéraient qu’on lâcherait sans avoir rien gagné. Ils comptaient sur notre isolement, notre fatigue. Mais on n’a rien lâché. Au bout de quinze jours, ils ont proposé des miettes, quasiment rien sur les salaires. Alors, on a continué. Cela a même renforcé notre détermination.
Mais nous avons aussi eu beaucoup de soutiens. Chaque semaine lors de rassemblements « trop bruyants » devant l’hôtel, des représentantEs de dizaines d’hôtels, de grands magasins, de restaurants étaient présents, toujours plus nombreux. Les rassemblements se sont transformés en manifestations qui par bonheur passaient devant l’ambassade du Quatar… Les organisations syndicales CGT et Solidaires étaient régulièrement présentes, ainsi que l’association Femmes Solidaires. Du coté politique, il y avait le NPA, le PCF et le Front de gauche, et des éluEs de la ville de Paris.
Et vous avez gagné !
L’accord de fin de conflit prévoit des augmentations de salaires jusqu’à plus 100 euros brut par mois pour certaines catégories de personnel. Cela correspond à un alignement sur la grille qui existe dans les hôtels de prestige. En pratique, ce sont surtout les salariéEs qui ont fait grève et ceux de leurs services qui bénéficient de ces augmentations. Une prime annuelle de 150 euros brut pour les équipiers qui déménagent les meubles, 6,50 euros brut par lit supplémentaire pour les femmes de chambre, la prise en charge à 60 % de la mutuelle, contre 50 % auparavant. Enfin, l’engagement à remplacer tous les salariéEs absents pendant la saison haute. La direction s’est aussi engagée à acheter du matériel qui faisait cruellement défaut aux employés. Et dès lundi dernier, nous sommes allées dans un salon spécialisé pour choisir ce matériel.
L’ambiance après la grève ?
L’ambiance a toujours été super. La solidarité entre les grévistes était grande bien sûr, mais de nombreux non-grévistes venaient nous encourager même s’ils n’osaient pas nous rejoindre. Problèmes d’argent, pressions de la hiérarchie, statuts précaires, etc.
La reprise s’est bien passée. Nous avons approuvé tous ensemble le protocole proposé par les syndicats. La direction a tenté de faire croire que la CGT avait décidé que les non grévistes n’avaient pas d’augmentation. On a mis les choses au point en assemblée générale. Depuis, la direction et les petits chefs sont méfiants… et nous aussi.
Pas question que cela redevienne comme avant la grève. L’after-grève, c’est surtout un suivi constant, notamment dans les services où syndicalement nous ne sommes pas très présents pour interdire les représailles. Dès qu’un salariéE nous informe de difficultés, nous intervenons auprès de la direction. Celle-ci ne cache pas qu’elle s’est gardé une marge de manœuvre sur les salaires en prévision des négociations salariales à venir.
Propos recueillis par Robert Pelletier
Source : NPA