Un individu vient de lancer un appel pour prendre en main « l’avenir de l’Europe » à travers le « Mouvement du 9 mai ». Des personnes d’une certaine élite viennent de signer l’appel, parmi lesquels quelques belges: Paul Dujardin (Directeur du Bozar), Philippe van Parijs (philosophe de l’allocation universelle), David van Reybrouck (écrivain flamand) et Guy Verhofstadt (Président de l’Alliance Libérale Démocrate). Ils sont flanqués par un éventail représentatif de la fine fleur eurocrate.
L’individu en question s’appelle Guillaume Klossa qui se présente comme écrivain. Parmi ses occupations passées et actuelles d’entrepreneur diplomé d’HEC on peut mentionner : directeur de l’Union Européenne de radio-télévision (Concours Eurovision de la chanson), Bureaux Veritas, vice-président McDonald’s France, le think tank Euronova, etc. Voila un intellectuel qui a toutes les qualités requises d’un point de vue culturel, démocratique et politique.
Je viens de lire son appel publié dans De Standaard du 17 novembre 2016. Il se dit surpris par le Brexit et l’élection de Trump. Il faut être bête ou aveugle pour être surpris par la réaction du soi-disant populisme à la politique de l’élite libérale et social-libérale depuis des années. Mais il est vrai que cette élite, l’establishment, la classe capitaliste et son appareil politique a de bonnes raisons d’avoir peur. De dangereux démagogues se sont accaparés et sont en voie d’accaparer une série de gouvernements en Europe et dans le monde. La Communauté Européenne, fer de lance du capital Allemand, Français, Britannique et tutti quanti, est menacé. Cela, l’appel du 9 mai l’a bien compris. Une dislocation possible de la CE signifie une « marginalisation de nos intérêts et valeurs ». Aucun de nos pays ne fera plus partie du G9, nous ne représenterons que 5% de la population mondiale, etc. Donc c’est clair: il s’agit de nos profits sur le marché mondial. Il est temps d’agir « pour une réelle politique étrangère européenne et une réelle politique de défense ». Etc. Ainsi la démocratie sera renforcée, tout comme la situation écologique, toujours selon la pensée profonde de Guillaume Klossa, écrivain et entrepreneur. Mais il faut pour cela que les citoyens européens (donc vous et moi) se mobilisent. Ma réponse : allez-vous faire foutre !
Il est paradoxal que Monsieur Klossa rende responsables les « élites » qui « sont obsédées par les intérêts personnels et leurs attitudes négatives envers les institutions considérées comme inefficaces et chères ». Il fait partie lui-même de cette « élite », qu’il le veuille ou non. On vit une tragédie et on veut la combattre par une tragi-comédie. Mais que viennent faire des gens comme Philippe van Parijs et David van Reybrouck dans cet appel à la restauration du capitalisme libéral de bon goût? Van Reybrouck, l’auteur d’une excellente histoire du Congo, rejette l’actuelle « démocratie parlementaire » comme non-démocratique dans le vrai sens du mot. Il a raison, mais l’alternative qu’il présente, dans les circonstances dans lesquelles vivent nos communautés, est utopique: une gouvernance à tour de rôle par les citoyens désignés par le sort. Van Reybrouck se réfère à la démocratie athénienne antique. Il oublie, me semble-t-il, que cette démocratie était basée sur le travail des esclaves, que les femmes et les immigrés en étaient exclus et que cette « démocratie directe » était le privilège d’une minorité des 40.000 habitants de la polis.
dessin: Little Shiva
