Si la lutte des demandeurs d’asile afghans émeut des pans de plus en plus larges de la société, c’est que l’Afghanistan n’est notoirement pas un pays sûr et que la demande de protection formulée par ses ressortissants apparaît comme plus que légitime. De l’autre côté de la barricade, le refus catégorique des autorités d’entrer en dialogue avec le collectif d’environ 400 sans-papiers/demandeurs d’asile afghans qui a fait la preuve de sa détermination s’inscrit dans le cadre de politiques migratoires européennes toujours plus restrictives, surtout en période d’austérité.
On le sait, depuis la mise en place de l’espace Schengen et la chute du mur de Berlin, l’Europe se transforme en une véritable forteresse inhospitalière aux migrants venus des tous les continents, qu’ils soient réfugiés politiques, issus d’un pays en guerre ou simples migrants économiques en quête d’un avenir meilleur. Les politiques migratoires, notamment celle de l’asile, ne cessent de se durcir et toutes les avancées en matière d’«harmonisation» visent en fait à diminuer les flux de potentiels candidats migrants/demandeurs d’asile. Cela est encore plus vrai en période d’austérité: les migrants, tout particulièrement les plus vulnérables parmi eux, sont parmi les premiers ciblés par les mesures violemment antisociales prises tant au niveau européen qu’à celui des Etats.
Chez nous aussi, la politique menée par la secrétaire d’Etat à la Politique de Migration et d’Asile, Maggie De Block (Open VLD) en matière d’asile, vise essentiellement à faire «plus efficace»… et pour moins cher: accélérations des procédures (et donc des refus), établissement d’une liste de «pays sûrs» pour lesquels les demandes sont traitées en 15 jours, au mépris de l’écoute individuelle de chaque trajectoire migratoire et du délai nécessaire pour introduire un recours, intensification de la politique dite de «retour volontaire», multiplication des retours forcés, campagnes de dissuasions dans certains pays d’origine, etc. Et cela marche: pour 2012, le CGRA se targuait d’une diminution de 15% du nombre de demandes d’asile par rapport à 2011.
Depuis le début de cette année, la diminution est de 25% en moyenne. En juin dernier, Fedasil annonçait ainsi la fermeture de plusieurs centres d’accueil, le nombre de place libres s’étant multiplié. C’est d’ailleurs comme cela que certaines familles afghanes hébergées au centre d’accueil du 127 rue du Trône se sont retrouvées à la rue et ont par la suite décidé d’occuper l’immeuble. Toujours en juin, le cabinet De Block annonçait fièrement qu’il rendrait au gouvernement 90 millions d’euros issus de son budget 2013 «grâce à ces nouvelles mesures», à la grande satisfaction du comité ministériel restreint qui tenait dans le même temps ses travaux budgétaires. Cette somme devrait finalement atteindre les 45 millions, dont 10 millions seront généreusement réaffectés à la lutte contre la pauvreté infantile, au Contentieux des étrangers qui traitent les recours et… à l’Office des Etrangers.
Maggie De Bolck fait donc «bien son travail», comme aime à le répéter Di Rupo qui ne cesse de chanter ses louanges et, en période pré-électorale, tout le monde en tire son épingle du jeu… ou presque. Le 1er octobre, l’annonce de l’expulsion du désormais célèbre «plombier afghan» Navid Sharifi, 23 ans, vivant en Flandres depuis 5 ans et considéré par beaucoup comme «parfaitement intégré», vers l’Afghanistan, un pays qu’il avait quitté encore enfant, faisait grimper De Block de quelques points dans les sondages, sa cote de popularité s’élevant ainsi au-dessus de celle de Bart De Wever. C’est Elio, qui se positionne lui et son gouvernement comme un rempart face aux dangereux nationalistes flamands, qui a dû être content, comme le faisait justement remarquer un panneau brandi à la manifestation du 19 octobre. Le collectif des Afghans se voit donc pris en otage entre restrictions budgétaires et funestes enjeux électoraux.
En réalité, environ 60% des demandeurs d’asile afghans obtiennent au moins une protection subsidiaire – permis de séjour et de travail d’un an – en Belgique. Les 40% restant sont condamnés à la clandestinité ou enfermés en centres fermés en attente d’une expulsion. Les expulsions vers l’Afghanistan n’étaient pourtant plus pratiquées en Belgique jusqu’en 2010, date de l’entrée en fonction du gouvernement Di Rupo. L’Afghanistan n’étant notoirement pas un «pays sûr», nous l’avons dit, le CGRA s’ingénie à y trouver des «zones» sûres, par exemple Kaboul, vers lesquelles on pourrait renvoyer les demandeurs d’asile qui en sont originaires. Cette estimation ne tient absolument pas compte de la situation extrêmement mouvante dans ce pays ni de la recrudescence de la violence, observable alors que les troupes étrangères s’apprêtent à quitter le pays pour le laisser… aux mains des mêmes Talibans qu’elles étaient venues combattre 12 ans auparavant au nom du djihad mondial contre la terreur…
La situation ne manque pas d’ironie quand on sait que la Belgique est impliquée militairement dans le conflit et que le SPF Affaires étrangères considère la situation sécuritaire de ce pays comme «très problématique» et déconseille formellement aux citoyens belges de s’y rendre. L’ambassade d’Afghanistan en Belgique elle-même refuse de voir ses ressortissants renvoyés vers un Etat qui ne peut assurer leur protection et ne délivre pas de laissez-passer pourtant nécessaires à la procédure d’expulsion. L’Office des Etrangers fabrique donc aux Afghans expulsables des laissez-passer européens, une procédure décriée par les associations de défense des droits de l’homme et dénoncée comme contraire au droit international. «De wet is de wet» (la loi est la loi, martèle Maggie), oui mais pas à tous les niveaux…
Combien d’Aref et de Navid Sharifi seront encore victimes d’une politique injuste et inhumaine? Alors que le Collectif des Afghans reste mobilisé, nos autorités semblent prendre leur revanche sur les autres Afghans sans-papiers présents sur le territoire belge (en tout, environ 1000 personnes). Les arrestations se multiplient, une cinquantaine d’Afghans sont à ce jour en centre fermé et expulsés au compte-goutte dans le plus grand secret et dans le mépris des procédures légales, comme en témoignent les témoignages recueillis par le collectif Getting the Voice Out. La dernière en date a eu lieu le 27 octobre…
«Votre répression n’arrêtera pas notre lutte»
Au-delà de la lutte contre l’austérité dont les sans-papiers comptent parmi les premières victimes, la mobilisation d’un collectif aussi organisé et décidé que celui des Afghans pose de nombreuses questions. La première est celle de l’organisation par les syndicats d’une couche importante de la population – environ 100 000 personnes, qui sont en fait des travailleurs et des travailleuses. Ce n’est pas un hasard si les migrant·e·s qui n’ont pas accès à un séjour légal en Belgique ne sont pas systématiquement renvoyé·e·s «chez eux». Réduit·e·s à la clandestinité, ils et elles sont contraint·e·s d’accepter les boulots les plus ingrats et mal payés pour subsister. Totalement dépourvus de droits, ils et elles travaillent dans des conditions qu’aucun·e travailleur ou travailleuse «belge» n’est disposé·e à accepter. Cette réserve de main d’œuvre ultra-flexible et à bas prix permet ainsi d’exercer une pression sur les salaires. En ce sens, leur organisation pour la défense de leurs droits et pour leur régularisation constituerait une avancée dans la lutte pour les droits économiques et sociaux de tous et de toutes.
En l’absence d’une telle organisation, se pose surtout la question de l’auto-organisation des sans-papiers et de la convergence de leur lutte avec celles d’autres collectifs. Là, les organisations de gauche ont un grand rôle à jouer, dans le respect de l’autonomie des collectifs. Car, comme l’illustre de façon remarquable la lutte des Afghans, si le soutien logistique et humanitaire – organisation d’une occupation, nourriture, soins médicaux, soins aux enfants, etc. – sont, certes, des éléments importants, la question du soutien politique est cruciale. Il s’agit pour le comité de soutien aux Afghans d’élaborer des actions avec le collectifs et d’autres en parallèle de leur lutte, afin d’assurer cette convergence, de sensibiliser dans les quartiers, en particulier autour de l’occupation, sur les lieux de travail et dans les associations où nous sommes actifs, dans les écoles et les universités et d’encourager un maximum de gens à venir rejoindre les Afghans sur le terrain.
C’est en ce sens que s’est créé un groupe de travail «mobilisation étudiante» lié au comité de soutien aux Afghans. L’accent mis sur la mobilisation étudiante est bien entendu lié aux événements qui ont récemment secoué la France. Ceux-ci démontrent une nouvelle fois que la jeunesse est parmi les couches de la population les moins perméables à la xénophobie et au racisme ambiants. Car la lutte au côté des sans-papiers a également comme corollaire la lutte contre un racisme de plus en plus ancré, notamment au sein des organes de police, fait de nouveau illustré par la brutalité policière dont ont été victimes les Afghans ces dernières semaines. Pour que cela n’ait plus jamais lieu, brisons l’isolement et montrons notre solidarité aux Afghans. Liberté de circulation et d’installation pour tou·te·s!
Retrouvez notre dossier Retour sur le combat des Afghans publié dans La Gauche (n°65, novembre-décembre 2013)