La décision de la LCR de mener campagne avec le PTB a été très bien accueillie dans les milieux de gauche, parfois même avec enthousiasme. C’est en particulier le cas dans la gauche syndicale, où les militant-e-s savent que l’appel de la FGTB de Charleroi ne peut recevoir un début de concrétisation en 2014 que si le PTB commence à s’ouvrir à des collaborations avec d’autres… et vice-versa. Fruit de longs mois de discussions internes, la déclaration du secrétariat de la LCR sur 2014 a été lue par plus de 2500 personnes. Des dizaines de gens l’ont partagée sur les réseaux sociaux.
Beaucoup de réactions que nous avons reçues peuvent se résumer comme suit : « Bravo, qu’attendent les autres organisations de gauche pour faire comme la LCR ? » Il y a cependant des sectaires pour qui pas d’élu de gauche en mai prochain vaut encore mieux qu’un élu du PTB. Il y en a d’autres qui, ignorant les rapports de forces, voudraient subordonner leur appel à voter pour le PTB à l’acceptation par celui-ci de leur propre programme – quitte à laisser la gauche syndicale tout seule face au PS et à ses partisans dans l’appareil FGTB. Comme prévu, certains reprochent à la LCR de « se coucher devant le PTB ».
Ces réticences ont trouvé un écho dans certaines déclarations récentes de Vincent Decroly, telles que « Je ne suis pas prêt à m’embarquer dans une aventure poststalinienne », et « Le PTB est ambigu sur l’antiproductivisme ». Or, dans ce débat, les notions de stalinisme, de productivisme et d’écosocialisme sont employées à tort et à travers par des personnes qui se contredisent parfois, au point qu’on en vient à se demander si elles savent de quoi elles parlent ou si elles sèment la confusion délibérément. Une mise au point est donc nécessaire.
« Post-stalinisme »
Tour le monde sait maintenant que Vincent Decroly ne s’exprime pas à titre personnel mais en tant que membre de VEGA . Or, un des fondateurs de VEGA, Pierre Eyben, était jusqu’il y a peu dirigeant et porte-parole du Parti Communiste… « poststalinien ». Quant à VEGA, il s’inscrit dans la perspective d’un adossement au Parti de la Gauche Européenne (PGE)… qui rassemble des partis « poststaliniens ». Soit dit en passant : aucun de ces partis n’a jamais fait un bilan en profondeur du stalinisme, des conditions de sa victoire et de ce qu’il aurait fallu faire pour le combattre.
Sur les réseaux sociaux, Untel, qui n’aime pas les «poststaliniens », nous exhorte à construire quelque chose comme le Syriza grec ou comme le Bloc de Gauche portugais, plutôt que de mener campagne avec le PTB. Peut-on faire remarquer à ce camarade que Syriza est une création du Synaspismos, l’aile eurocommuniste et droitière du Parti communiste grec ? Syriza est donc né d’une « aventure poststalinienne ». Quant au Bloc de Gauche, sa principale composante à la création était l’UDP maoïste, parti-frère du PTB à l’époque…
Les conjonctures changent, les organisations évoluent. La politique n’est pas un jeu de copier-coller atemporel mais une activité concrète basée sur l’analyse des situations concrètes dans leur possible évolution. Il y a des moments clés où il faut appliquer la maxime de Napoléon : on s’engage et puis on voit…
« Maostalinisme »
« Soit, répliqueront certains, mais le PTB, lui, n’est pas poststalinien mais stalinien ». Eh bien, sorry camarades, ça n’est pas si simple. D’abord, le PTB n’est pas né du stalinisme mais du maoïsme. Or, Mao, tout en partageant les conceptions de Staline sur le parti unique, son régime interne et son rôle dirigeant autoproclamé, n’était pas tout à fait un stalinien pur jus.
Le stalinisme, ce n’était pas seulement le dogme du parti unique dirigeant les masses, c’était aussi la subordination contre-révolutionnaire des intérêts de la classe ouvrière internationale à la défense du statu quo sans lequel la bureaucratie soviétique ne pouvait maintenir ses privilèges. Le stalinisme étrangla la révolution espagnole, laissa tomber les communistes grecs et tenta d’empêcher la victoire des partisans communistes en Yougoslavie, notamment. L’homme de Staline dans la direction du PC chinois était Wang Ming. Mao l’a écarté. Si Mao avait été un pur stalinien, il n’y aurait pas eu de victoire de la révolution en 1949.
Dans les années 80 du siècle dernier, le PTB a clairement subordonné sa politique à la défense des intérêts, non de l’URSS, mais de la bureaucratie chinoise. Celle-ci était en lutte contre le « révisionnisme soviétique » de Brejnev et consorts. La Havane étant l’alliée de Moscou, le PTB emboîta le pas à Pékin qui dénonçait Cuba comme la « cinquième colonne du social-impérialisme russe ». Le Che, à cette époque, était particulièrement mal vu des Chinois… et du PTB (selon la grille de lecture maoïste, Guevara essayait d’étendre l’emprise « social-impérialiste » en Afrique et en Amérique latine !). Lorsque l’armée populaire chinoise attaqua le Vietnam (allié à l’URSS), le PTB justifia l’agression. Dans la lutte contre l’installation des missiles de l’OTAN en Europe, au cœur de la « guerre froide », le PTB était très aligné sur la position de Pékin : « le social-impérialisme russe est l’ennemi principal »… On pourrait multiplier les exemples de ce genre.
Pour exprimer la contradiction entre le côté révolutionnaire de Mao et son stalinisme, nous avons qualifié le PTB de parti « maostalinien ». La question est de savoir en quoi cette caractérisation est encore opérationnelle aujourd’hui. Le PTB a clairement rompu, en paroles et en actes, avec le régime nord-coréen. Il garde une vision « campiste » de la situation mondiale, en Syrie, notamment (mais il est loin d’être le seul à gauche, hélas !). La question clé est celle de la Chine. Le PTB maintient apparemment des liens avec la direction du PC chinois, mais son soutien est-il encore monolithique ? Ce n’est pas sûr, et son embarras face à la construction d’une nouvelle puissance capitaliste sous la direction d’un parti « communiste » et dans le cadre d’un Etat « socialiste » est assez perceptible… Sur ce plan-là, rien n’est tranché : c’est l’attitude face à l’évolution des luttes de classes en Chine qui sera décisive. Mais elle n’est pas donnée d’avance.
La question du type de parti, de sa relation aux mouvements sociaux et de son projet socialiste est tout aussi difficile à appréhender. Le PTB conserve toute une série de dogmes staliniens tels que « le parti dirige le front » (qui implique notamment que le parti dirige le syndicat). Mais ces dogmes sont pour ainsi dire rangés à la cave dans un coffre dont on évite d’évoquer l’existence. Les simples membres en ignorent tout. C’est évidemment antidémocratique mais aussi très contradictoire. En fait, ce n’est tenable à terme que si les membres passent par un processus d’initiation, comme dans les sectes. Or, sa dé-sectarisation est un des éléments qui ont permis au PTB de gagner une petite base sociale. Il est donc probable qu’il tentera plutôt de résoudre le problème en donnant du socialisme qu’il veut une définition plus démocratique, sans aller jusqu’à se prononcer pour l’autogestion. Le dernier chapitre du livre de son président, Peter Mertens, pointe dans ce sens. Ce qui s’y trouve (et ne s’y trouve pas) n’autorise pas à parler de « marxisme révolutionnaire » (au sens où nous l’entendons), mais parler de stalinisme ou de maostalinisme serait ridicule…
Mettre une étiquette sur une formation politique en mutation est toujours un exercice délicat et, en fin de compte, assez inutile. S’il fallait absolument en mettre une sur le PTB, la prudence commanderait d’y écrire : « en évolution postmaostaliniste ». Savoir si ce postmaostalinisme sera plus proche de la révolution que de la social-démocratie reste une question ouverte. Mais dans ce cas on voit mal en quoi il se distinguerait du « poststalinisme » des PC. Dès lors, pourquoi celles et ceux qui acceptent de collaborer avec ceux-ci refuseraient-ils de collaborer avec celui-là ?
« Productivisme »
« Mais le PTB est productiviste », entend-on dire parfois. Cependant, la confusion et le manque de rigueur sur ce « productivisme » sont encore plus grands que sur le stalinisme. Interrogé sur les chances des « petits partis » dans le cadre du 11H02 du journal Le Soir, le 29/11, le journaliste David Coppi a eu cette formule : « Le PTB est pour la collectivisation des moyens de production, il est donc productiviste ». Désolé, c’est vraiment n’importe quoi ! En effet, si le simple fait de produire suffisait à définir le productivisme, il faudrait conclure que la destruction de l’environnement continuera tant qu’il y aura des êtres humains sur la Terre… A ce compte-là, inutile de défendre tel ou tel programme politique, finissons-en tout de suite.
A la LCR, nous définissons le productivisme comme la tendance à produire pour produire. Le capitalisme est productiviste parce que l’accumulation du capital sous les coups de fouet de la concurrence pour le profit pousse en permanence le système à dépasser les besoins du marché, donc à créer constamment et artificiellement de nouveaux besoins. Cette tendance, parfaitement décrite par Marx, est inhérente au capitalisme. Celui-ci est donc « productiviste » par essence.
« Oui mais, disent nos contradicteurs, un système non-capitaliste peut aussi être productiviste ». C’est exact, l’URSS et les autres pays de l’Est ont été productivistes. Il ne suffit donc pas d’être anticapitaliste, il faut être anti-productiviste en plus. Cependant, il est important de noter que le productivisme soviétique n’était pas identique à celui du capitalisme: la tendance à produire pour produire ne découlait pas des rapports de propriété mais du fait que les objectifs et les moyens de la production étaient décidés par une couche de managers privilégiés touchant des primes au volume de matière transformé. Si ce mode de gestion bureaucratique avait été remplacé par une démocratie des producteurs associés sur le modèle de la Commune de Paris– que Marx préconisait- l’URSS n’aurait sans doute pas été « productiviste » – en tout cas, elle aurait pu se corriger.
Vu la gravité de la double crise sociale et environnementale, inventer un projet de société non-capitaliste et non-productiviste constitue un défi majeur que la gauche doit absolument relever. L’expérience de l’URSS montre que relever ce défi exige la mise en oeuvre d’un socialisme démocratique respectueux des limites de la planète. C’est une conclusion qui devrait interpeller le PTB, puisqu’il prépare un congrès sur sa conception du socialisme. Mais elle interpelle aussi toutes les formations, notamment celles qui sont membres du PGE : combien d’entre elles défendent un véritable projet de rupture anticapitaliste, un projet de société socialiste basé sur l’autogestion à tous les niveaux ?
Le PTB n’intègre pas la notion de « productivisme », qu’il juge suspecte. C’est son côté dogmatique, et c’est aussi, en partie, un vrai problème. Mais cela ne permet pas de décider s’il est « écologiquement fréquentable » ou pas. On comptait plus de cent membres du PTB dans le train pour Varsovie organisé par Climat et Justice Sociale. Pas mal, pour un parti qui néglige la question environnementale… Pure opération de marketing la veille des élections ? Dans ce cas, comment expliquer que le PTB ait mis en ligne une longue interview du marxiste antistalinien John Bellamy Foster, dont les travaux sur l’écologie font autorité ?
« Ecosocialisme »
Et ceci nous amène à la question de l’écosocialisme, qui est le troisième concept invoqué par les sectaires. Foster, notons-le au passage, récuse cette notion. La LCR s’en réclame, par contre. Pour nous, c’est un projet de transformation révolutionnaire de la société visant à instaurer une société non-capitaliste décentralisée, planifiée, autogérée, respectueuse des limites et prudente dans son approche des mécanismes naturels.
Très marginal jusqu’il y a quelques années, nous constatons que l’écosocialisme tend aujourd’hui à être repris par d’autres forces. On ne peut que s’en féliciter, mais sans perdre son esprit critique. Quand Jean-Luc Mélenchon définit l’écosocialisme comme « un paradigme de l’intérêt général », «une théorie politique globale » qui « institue l’universalité des droits humains, la citoyenneté comme devoir et la République (avec majuscule) comme nécessité », nous ne sommes pas d’accord. Quand il utilise l’écosocialisme comme un prétexte abstrait pour traiter les manifestants bretons de « nigauds » et « d’esclaves » de leurs patrons, nous ne sommes pas d’accord. Quand il peint l’écosocialisme aux couleurs de la France, de sa force de frappe, de sa laïcité excluante et de ses colonies, nous ne sommes pas d’accord.
Nous ne sommes pas d’accord parce que l’écosocialisme est ici instrumentalisé au service d’un projet politique, et même politicien : la construction du Parti de Gauche comme aspirant à une majorité de gauche alternative à celle de Hollande, mais avec le PS et les Verts.
Ensemble, par en-bas
Le fond de la question, en fait, est la relation entre les mouvements sociaux et les appareils politiques. Ce que veut Mélenchon, c’est s’imposer comme leader, imposer son agenda , son programme et ses alliances. Cette conception –très stalinienne, notons-le !- du « rôle dirigeant du parti » et de son leader n’est pas la nôtre. La construction d’un parti, pour nous, se fait à travers le mouvement réel, et pas en tâchant de le dominer ou de le canaliser par en-haut, encore moins en faisant appel à un « homme providentiel » ou à une vedette médiatique.
Vincent Decroly se présente comme « le porteur de la parole» des simples citoyens, des victimes de la crise. Nous soutenons cette idée de l’appropriation de la politique par en-bas, à partir des mouvements sociaux. Or, de ce point de vue, un événement historique s’est produit le Premier Mai 2012 : une puissante régionale de la FGTB a appelé à un rassemblement politique anticapitaliste afin de créer une alternative à gauche du PS et d’ECOLO. Un deuxième événement historique a suivi : principale centrale du syndicat chrétien en Belgique francophone, la CNE a pris position dans le même sens. Un « plan d’urgence anticapitaliste » sera rendu public incessamment, sur base duquel le syndicat interpellera les partis de la vraie gauche. C’est un renversement complet du rapport entre le mouvement social et sa représentation!
A la LCR, nous pensons que ce renversement est très important. IL est selon nous décisif que la dynamique amorcée par la FGTB carolorégienne reçoive une première concrétisation lors des élections de 2014, à travers l’élection de parlementaires anti-austérité. Le PTB est incontournable dans cette perspective. Il ne se dit pas «antistalinien », « antiproductiviste », ou « écosocialiste » ? Non, il ne se dit pas non plus féministe (tiens ! les sectaires n’ont pas signalé ce « détail » !…). Mais il évolue, prend ses responsabilités et accepte une certaine forme d’ouverture.
Dans ce contexte, la conclusion n’est pas d’aller tout seul planter son drapeau ailleurs, au risque que la division soit cause d’échec. Elle est de s’investir avec énergie dans la meilleure campagne unitaire possible en fonction des circonstances, en concertation avec la gauche syndicale. Chacun est libre de le faire en tant qu’écosocialistes, féministes, internationalistes, antiproductivistes. Ensemble, misons sur les dynamiques pour faire bouger les lignes. C’est notre choix.
Crédit Illustration : Thierry Tillier