Notre article titré « Les syndicats un genou à terre face à Michel et au patronat » a été abondamment partagé et commenté sur les réseaux sociaux. Sur base de ces échanges, voici quelques réflexions pour faire avancer le débat.
– Marc Goblet ne décide pas seul, c’est certain. Un vote a eu lieu avant-hier en comité fédéral de la FGTB, et il était clair. Mais tout a déraillé dès le mois de décembre, quand, contre tout ce qui avait été annoncé (avec même des menaces d’aller « au finish si le gouvernement ne nous entend pas ») et ce qui vivait clairement à la base, la FGTB (Marc Goblet, avec bien d’autres, a défendu ce choix) et la CSC ont choisi de renvoyer tout le monde à la maison sans perspective pour la suite autre que « donner une chance à la concertation », alors que le gouvernement montrait clairement et explicitement sa volonté de passer en force. Ensuite, on a reporté de semaine en semaine les échéances. Or la lutte c’est aussi une question d’état d’esprit et de « momentum ». On peut faire baisser la pression, mais ça demande ensuite d’être encore plus combatif et clair sur les perspectives et les objectifs si on veut pouvoir la faire redémarrer. Il y avait donc erreur dès le mois de décembre sur la stratégie. Et au lieu de rectifier le tir quand il était clair qu’on se faisait piétiner, le mot d’ordre n’a plus changé : « concertation » (piège à c.. ?). Errare humanum est, perseverare diabolicum (L’erreur est humaine, persévérer est diabolique).
– Des dirigeants syndicaux (pas tous, non, mais pas toujours les moindres), à la CSC comme à la FGTB, n’avaient manifestement AUCUNE intention de lutter sérieusement contre le gouvernement. Certains l’ont dit publiquement « ce gouvernement ne changera pas ses plans, la grève est inutile, attendons calmement les prochaines élections ». Par défaitisme (« on n’a pas la force »), par complicité avec les faux-amis politiques (« peut-être qu’au CD&V on a encore une écoute » ; « le PS n’a pas envie de revenir tout de suite »), par absence de stratégie (on a « tout essayé »), ou par conviction (certains dirigeants des syndicats partagent sincèrement l’idée qu’il faut être « compétitif », qu’il faut allonger les carrières, et autres bêtises néolibérales).
– Oui, les privilèges matériels des appareils syndicaux et les voyages, en général liés à un projet de solidarité internationale (dont la pertinence peut être évidemment être débattue mais c’est important de le rappeler), exercent une pression sur les dirigeants pour qu’ils se détachent de celles et ceux qu’ils doivent représenter, pour les adoucir, les endormir. Mais évitons les caricatures, ce n’est pas pour ça qu’ils seraient « tous vendus », loin de là, ni pour ça que la base serait toujours « pure » et le sommet toujours « pourri ». Il y a des secrétaires syndicaux très combatif/ve.s et des délégué.e.s et travailleur.se.s très très mous du genou. On en connaît tou.te.s.
– Ce n’est pas un hasard si la plupart des régionales et centrales combatives sont aussi plus démocratiques que les autres. L’un ne nécessite pas l’autre (on peut avoir des dirigeants autoritaires mais combatifs), mais ça aide, ça aide même beaucoup. Il est essentiel que les affilié.e.s et délégué.e.s osent s’organiser, indépendamment de directions bureaucratiques, pour reprendre le contrôle démocratique de leurs organisations syndicales.
– Enfin, à ceux qui disent « on s’en fout, arrêtons de cotiser, ou bien créons nos syndicats, ou faisons la grève générale hors et contre les syndicats », j’appelle à un minimum de sens des réalités… La Belgique n’est pas l’Espagne ni la Grèce. On a un mouvement syndical massif, puissant, capable de faire peur au patronat et au gouvernement quand il se met en action. On l’a vu l’hiver dernier. Des centrales, des secteurs, et des régionales veulent se battre contre ce gouvernement anti-social (et ses variantes régionales austéritaires, plus ou moins dures) au service des patrons. Il est aujourd’hui inutile d’envisager de court-circuiter les syndicats, et tout aussi absurde de rejeter en bloc toute la structure et tous les responsables syndicaux. Au contraire, nous devons lutter pour nous réapproprier nos organisations syndicales, les réinvestir, les démocratiser et favoriser la convergence de la base au sommet entre les secteurs les plus combatifs et déterminés à défendre leurs intérêts et leur indépendance de classe, en solidarité avec les autres mouvements sociaux.
– Les derniers sondages (à prendre avec des pincettes, comme toujours) montrent clairement que les gouvernements fédéraux et régionaux restent nettement impopulaires. Le score ridicule de l’équipe Michel sur le « pouvoir d’achat » est révélateur : nous savons que ce gouvernement appauvrit la majorité. Je le répète : Michel, De Wever et la FEB ont gagné une bataille, mais pas la guerre.