Le combat engagé par les organisations syndicales et de nombreux mouvements sociaux vise le retrait des mesures de régression sociale du gouvernement Michel : le saut d’index, le prolongement de la carrière jusqu’à 67 ans, les coupes claires dans la sécurité sociale, les économies énormes à la SNCB, dans l’enseignement, etc.)
Ce combat vise également des mesures d’austérité déjà prises par le précédent gouvernement Di Rupo, prolongées et amplifiées par ce gouvernement des droites : le blocage des salaires, la fin du droit aux allocations de chômage pour des milliers de personnes, ainsi que la dégressivité des allocations de chômage pour toutes les catégories de chômeur/euse/s jusqu’à un plancher situé en dessous du seuil de pauvreté.
C’est un véritable tsunami social, provoqué par une des premières mesures du gouvernement Di Rupo et amplifié par le gouvernement Michel.
Depuis presqu’un an, un réseau s’est constitué, mobilisant pour l’abrogation de l’Article 63&2 d’un décret décidé par le précédent gouvernement. En vertu de cet Article, à partir du 1er janvier 2015, des vagues successives de milliers de chômeur/euse/s, « travailleurs hors emploi », arriveront en fin de droit et seront exclu/e/s du système des allocations de chômage.
La particularité de ce réseau est qu’il est porté et soutenu par plus de 70 organisations, aussi bien du mouvement syndical que du monde associatif.
En mars 2014, à deux mois des élections, le parti socialiste laissait entendre : « Si nous sommes à la table des négociations, nous demanderons la renégociation des mesures visant à limiter dans le temps les allocations d’insertion » (1).
Alors, qu’est-ce qui empêche les député/e/s socialistes de joindre leur voix à ceux de la gauche radicale pour exiger le retrait de ces mesures plongeant dans la précarité et la pauvreté des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes (en pointant les deux mesures : fin de droit et dégressivité des allocations de chômage !).
Qu’est-ce qui empêche les gouvernements à la Région wallonne et à Bruxelles, présidés par le PS de s’opposer à ces mesures ?
J-44 : le réseau poursuit la mobilisation !
(1) Le Vif, 10/3/2014.
Denis Horman
La Gauche a interviewé Thierry Müller, animateur du Réseau Stop Article 63&2
Peux-tu rappeler ce qui va se passer, dès le 1er janvier 2015, pour des milliers de chômeurs et chômeuses ?
Thierry Müller : A partir du 1er janvier 2015, des milliers de personnes touchant des allocations dites d’insertion (les anciennes allocations d’attente) seront exclues du chômage. Selon les estimations, cela concernerait une trentaine de milliers de personnes. Et cela va continuer par la suite, mois après mois. C’est au gouvernement Di Rupo que l’on doit cette catastrophe sociale. Dès sa constitution en décembre 2011, il décidait d’un décret, -Article 63&2-, intégré à l’arrêté royal de 1991, qui réglemente le chômage. En résumé, cette mesure très complexe a pour effet de limiter, à partir de janvier 2012, le bénéfice des allocations « d’insertion » à trois ans, à partir du 30ème anniversaire des personnes concernées. Mais cette fin du droit au chômage ne touche pas uniquement les jeunes qui sortent de l’école et qui ne trouvent pas de boulot. Cela touche tous les chômeurs et chômeuses qui n’auront pas eu la possibilité d’accumuler suffisamment de jours de travail, dans une période donnée, pour ouvrir leur droit aux allocations de chômage, sur base de leur emploi. Cela concerne donc des milliers de personnes, des femmes surtout (dont beaucoup vivant seules avec enfants à charge), des travailleurs et travailleuses plus ou moins âgés, qui ont enchaîné petits boulots, temps partiels, intérim, souvent pendant des années, mais sans jamais que cela suffise pour leur ouvrir le droit à un chômage qui les sorte du système des allocations d’insertion.
Il est bon aussi de rappeler que le gouvernement Di Rupo a demandé et obtenu, au parlement, le vote des pouvoirs spéciaux, en ce qui concerne l’organisation de l’ensemble du système chômage.
Le gouvernement Michel ne vient-il pas d’alourdir encore plus les mesures se rapportant à l’Article 63&2 ?
Thierry Müller : Effectivement, ce gouvernement vient d’ajouter deux mesures limitant encore un peu plus le droit aux allocations d’insertion.
Jusqu’à présent, pour obtenir l’octroi aux allocations d’insertion (après un stage qui est passé de 9 mois à 12 mois), la demande devait être faite avant l’âge de 30 ans. Dorénavant, cette demande devra être faire avant l’âge de 25 ans. Bon nombre d’universitaire, entamant des études qui peuvent durer de 5 à 7 ans hors échec, pourront faire une croix sur ces allocations !
Dorénavant également, il faudra avoir un diplôme de secondaire inférieur ou supérieur pour bénéficier des allocations d’insertion.
Peux-tu dire un mot sur le réseau qui s’est créé, il y a bientôt un an, pour l’abrogation de l’Article 63&2 ?
Thierry Müller : Aujourd’hui, le réseau est officiellement soutenu par plus de 70 organisations, associations et collectifs. La FGTB wallonne vient de signer l’appel comme la CGSP du Centre et le SETCA de Namur. Trois régionales FGTB ont aussi rejoint le réseau : Verviers, Charleroi, Mons/Borinage. Côté CSC, il n’y a pas pour ainsi dire de répondant officiel jusqu’à présent. Ceci dit, des militant/e/s aussi bien de la CSC que de la FGTB sont actifs dans le réseau.
En ce qui concerne les partis politiques, Ecolo et les partis de gauche (PTB, LCR, PSL, VEGA , MG) ont signé l’appel.
Pourquoi l’Appel à mobilisation et à signature en vue de l’abrogation de l’article 63&2 ne demande pas également l’abrogation de l’autre mesure du gouvernement Di Rupo concernant les chômeurs et reprise par le gouvernement Michel, à savoir la dégressivité des allocations au-delà du seuil de pauvreté ?
Thierry Müller : Nous avons choisi de mobiliser pour l’abrogation de la première mesure gouvernementale, parce que cet objectif était susceptible de fédérer un maximum de personnes et d’organisations. Il s’agit, il faut bien s’en rendre compte, de la fin du droit aux allocations de chômage pour des milliers de personnes. L’enjeu est extrêmement important. Une fois la brèche ouverte, il y en a qui ne se priveront pas de demander la limitation dans le temps de toutes les allocations de chômage. Il est donc vital de créer un véritable rapport de force sur cet objectif. Bien évidemment, l’autre mesure de dégressivité des allocations de chômage, comme bien d’autres mesures touchant les chômeurs relèvent d’une politique tout aussi inique.
L’appel du réseau Stop Article 63&2 fait remarquer que cette mesure est absurde tant sur le plan budgétaire qu’économique et social.
Thierry Müller : Qu’est-ce que le gouvernement va récupérer pour résorber le déficit budgétaire, avec cette mesure aux conséquences dramatiques pour des milliers de personnes ? Des clopinettes ! Les syndicats ont chiffré cela à quelque 150 à 200 millions d’euros.
Sans compter que ces économies sur les chômeurs seront en partie répercutées sur des CPAS déjà financièrement étranglés. Seule une petite proportion des exclus pourra prétendre au CPAS. Pour les autres, ce sera la débrouille ou la rue.
Economiquement, ce sera encore moins de pouvoir d’achat. On est déjà en pleine crise de surproduction !
Alors, socialement, on n’ose pas penser à ce qui va se passer : accentuation du travail au noir, avec encore moins d’argent ristourné pour les impôts et la sécurité sociale ; la petite délinquance, la mendicité…
Et tous ceux et celles qui ont encore un boulot ne sont –ils pas directement concernés par cette mesure ?
Thierry Müller : Bien sûr ! Tout ce qui fragilise le système du chômage fragilise les salariés. La peur de se retrouver un jour dans une telle situation de chômeurs ou au CPAS entraîne l’acceptation de conditions de travail dégradantes, des salaires à la baisse.
D’autre part, quelqu’un qui n’a plus droit à rien est prêt à tout accepter.
C’est pourquoi, comme le souligne l’appel du réseau, ces mesures appellent une riposte de l’ensemble du salariat dans ou hors emploi.
Ce qui m’inquiète un peu, c’est que dans les discours syndicaux et dans le cadre des mobilisations syndicales contre le gouvernement Michel, ces mesures qui sont dramatiques pour des milliers de chômeurs et qui ont des répercussions concrètes sur la situation dans les entreprises ne sont pas suffisamment dénoncées et intégrées dans le plan d’action syndicale.
Et maintenant, avant l’échéance fatidique du 1er janvier 2015
Thierry Müller : ce vendredi 14 novembre, le réseau a mené une action devant le Ministère de l’Emploi à Bruxelles. Nous y avions sollicité, au nom de quelque 77 organisations et collectifs qui ont souscrit à l’appel du réseau, une entrevue avec Kris Peeters, le ministre de l’Emploi du gouvernement Michel, pas pour dialoguer oui négocier, mais pour lui faire connaître notre volonté de ne pas lâcher sur cette revendication. Il nous a envoyé une brave secrétaire de cabinet, en provenance de l’ONEm, pour recevoir notre lettre et la lui transmettre. Il s’engage, paraît-il, à nous répondre. Wait and se.
Nous tiendrons une nouvelle assemblée générale (ouverte) du réseau, le 22 novembre prochain, à 13h30, au Club Garcia Lorca à Bruxelles, rue des Foulons, 47-49, pour déterminer ensemble les prochaines actions. Face à ce gouvernement, nous sommes bien conscients qu’il va falloir amplifier les mobilisations si nous voulons stopper de véritables catastrophes sociales. Et, pour cela, il sera sans doute nécessaire que les « signataires » du réseau, individus comme organisations, deviennent aussi les acteurs engagés et déterminés de notre lutte.
Propos recueillis par Denis Horman