Donc, le service public de la radio télévision belge francophone a consacré une émission aux « petits partis » (1). De droite comme de gauche. De gauche comme de droite.
Il paraît qu’en cette époque tourmentée prolifèrent les « extrémismes » de tous les bords. Il était dès lors prévisible que des « professionnels » du journalisme se penchent sur la question et, avec leur sens inné du discernement, qu’ils expliquent de manière professorale aux téléspectateurs médusés toute la dangerosité de ces formations politiques.
Voyez-vous, une grande menace pèse sur la planète. La crise économique et financière du capitalisme ? Le réchauffement climatique ? Les pollutions ? Les guerres ? Les extra-terrestres ? Non, vous avez tout faux. Ce terrible péril porte en réalité un nom : populisme. Répétez avec moi, ou plutôt répétez avec eux, PO-PU-LISME ! Encore une fois : PO-PU-LISME ! Bien.
La démonstration fut donc aussi rapide qu’expéditive. Le peuple, parce que c’est de lui qu’il s’agit dans cette ténébreuse histoire, patauge dans le waterzooi, ne sait plus à quelle chaîne de télévision se vouer (contrairement à Coca-Cola), et attend des discours qu’il veut entendre, car s’il est muet il n’est point sourd.
Et c’est ici qu’interviennent nos démagogiques « petits partis » qui, passés maîtres dans l’art de répandre des propos simplistes pour élucider des questions complexes, essaient de convaincre les rageux « d’en bas » que les belles personnes « d’en haut » sont les véritables responsables de la crise et de ses affres, ou accusent les « autres » d’être les responsables de tous les maux de la terre. Voilà le PO—PU—LISME dans toute sa laideur !
Le mal de l’époque étant diagnostiqué, reste à l’éradiquer. Et toute croisade commence par un bon commencement : la dénonciation de ces malfaiteurs qui parasitent la « démocratie ».
Tenez, par exemple, Aube dorée, en Grèce, qui organise des expéditions punitives contre la population immigrée, qui s’en prend violemment à tous ses adversaires, et qui ne recule pas devant les assassinats ! Qu’est-ce d’autre que du PO—PU-LISME ?
Tenez, par exemple, Marine Le Pen, du FN français, qui voudrait bouter l’occupant musulman hors de l’Hexagone ? Qu’est-ce d’autre que du PO-PU-LISME ?
Tenez, autre exemple venant de France, Jean-Luc Mélenchon, qui s’en prend avec véhémence aux puissants et veut leur présenter la facture de leur gabegie. Qu’est-ce d’autre que du PO-PU-LISME ?
Tenez, par exemple, le MG (Mouvement de gauche), en Belgique, qui affirme qu’il a repris le flambeau de la gauche puisque le PS ne l’est plus (de « gauche ») ! Qu’est-ce d’autre que du PO-PU-LISME ?
Tenez, par exemple, le PTB, chez nous aussi, qui exige une « taxe des millionnaires » pour faire enfin payer les riches ! Qu’est-ce d’autre que du PO-PU-LISME ?
Oui, mais… diront les éternels éplucheurs d’ailes de coccinelles, quel est le rapport entre des partis racistes et xénophobes, qui propagent jour après jour leur haineuse vision de la société, et des partis qui cherchent à concrétiser un idéal de fraternité dans un monde qui serait enfin égalitaire ?
Poser la question revient à y répondre : il n’y a aucun lien entre les uns et les autres. D’ailleurs, vous êtes avisés – la preuve vous lisez actuellement cette contribution – et vous avez compris depuis longtemps que ces amalgames grossiers ont pour but de discréditer les alternatives de gauche. Et d’empêcher de véritables débats politiques de fond.
Au vu du résultat, ce devait être le cahier de charge de l’équipe des fins limiers de la RTBF : mettre tout en œuvre pour inquiéter, et enrayer ainsi la désaffection des électeurs vis-à-vis des partis institutionnels, lesquels – tiens, tiens – siègent collégialement au Conseil d’Administration de l’entreprise « publique ».
Pari engagé, pari gagné ? Pas sûr, car à vouloir trop démontrer, le grotesque n’est jamais loin. Les réactions négatives ont été nombreuses sur les réseaux sociaux, où il est surtout apparu que cette émission était considérée comme bien « petite ».
Gustave Flaubert a écrit quelque part : « un bourgeois est quelqu’un qui pense bassement ». Nous en avons maintenant la démonstration estampillée QALU : un journaliste est quelqu’un qui pense aux ordres.
—Alain Van Praet
(1) « Questions à la une » (QALU), RTBF, mercredi 2 octobre 2013
photo: Marc Riboud