Rappel des épisodes depuis octobre 2014
Premier épisode. Entre octobre et décembre, le front commun syndical mobilise massivement ses militant-e-s dans un plan d’action en faveur de quatre revendications : 1°) le maintien et le renforcement du pouvoir d’achat par la liberté de négocier et la suppression du saut d’index, 2°) une sécurité sociale fédérale forte, 3°) un investissement dans la relance et des emplois durables en ce compris des services publics de qualité et 4°) une justice fiscale. Moins de six mois après les élections, le monde du travail montre sa force. Y compris en Flandres, où la droite politique se révèle plus faible qu’il n’y paraît.
Deuxième épisode. Le 17 décembre, les directions syndicales décrètent une trêve jusqu’au 13 janvier 2015, pour « donner une chance » à la concertation, et vérifier s’il s’agit bien d’une « vraie concertation ». Un « mini-accord » est conclu au Groupe des 10. Charles Michel, satisfait, « met la paix sociale sous le sapin des Belges ».
Troisième épisode. Alors que la machine « dirupienne » à exclure des dizaines de milliers de chômeuses et de chômeurs tourne à plein régime, la trêve est prolongée jusqu’à la fin janvier. Les directions syndicales acceptent de saucissonner leurs revendications et négocient un Accord interprofessionnel (AIP). Résultat : les travailleur-euse-s du secteur public n’obtiennent rien en retour de leur participation massive au plan d’action, tandis que celles et ceux du privé se voient autoriser à négocier d’infimes hausses de salaire en 2016. La CSC accepte, la FGTB refuse. La FEB salue « le meilleur accord interprofessionnel depuis 20 ans ». Mais les deux syndicats restent opposés au saut d’index et annoncent un nouveau plan d’action en front commun.
Quatrième épisode. Le gouvernement maintient le saut d’index pour les revenus du travail et les allocations sociales (un cadeau de 2,5 milliards aux actionnaires!). La marge de hausses salariales possibles en 2016 sera donc plus que mangée par la non indexation. Les syndicats appellent à une « concentration » de 6000 militant-e-s le 11 mars. Les syndicats du secteur public développent leur propre plan d’action, contre le démantèlement et pour défendre leurs acquis spécifiques (notamment leur système de pension).
Cinquième épisode. Face à la volonté du gouvernement d’imposer la disponibilité et l’activation des prépensionnés sur le marché de l’emploi, le Groupe des 10 parvient à un accord. Celui-ci est proposé au gouvernement en tant qu’alternative à ses projets. En réalité, l’accord au Groupe des 10 n’est pas vraiment une alternative : simplement, patrons et syndicats proposent que l’activation soit un peu adoucie (une activation « passive », pas « active »), et que les prépensionné-e-s actuel-le-s ne soient pas touché-e-s. La balle est dans le camp du gouvernement. FGTB et CSC veulent qu’il ratifie l’accord. La secrétaire générale de la CSC, Marie-Hélène Ska, s’exprime très fermement à la télévision, le 5 mars : « Cet accord est indivisible », dit-elle; si le gouvernement ne l’applique pas, « il s’agira d’une provocation en règle » et il y aura des actions dans les entreprises.
Sixième épisode. Le gouvernement décide de ne pas entériner tel quel l’accord. Il pond un « compromis » entre ses projets et l’accord patrons-syndicats au Groupe des 10 : certes, il n’y aura pas de rétroactivité frappant les personnes qui ont déjà été indemnisées en prépension avant le 1er janvier 2015, mais la disponibilité sur le marché de l’emploi s’imposera aux futurs prépensionné-e-s (interdiction de longs séjours à l’étranger). Quant à l’activation, elle ne sera ni « active », ni « passive », mais « taillée sur mesure ». On joue sur les mots pour mener les travailleur-euse-s en bateau!
Et maintenant ?
Et maintenant ? Fondamentalement, le gouvernement a obtenu ce qu’il voulait: la fin de la prépension (qui a d’ailleurs changé de nom depuis 2012 – merci le PS au gouvernement!- en devenant « Régime de chômage avec complément d’entreprise –RCC-« , tout un symbole). A la limite, Michel a agité la menace de rétroactivité comme un leurre, en sachant qu’elle avait peu de chance passer, car elle aurait été contraire au droit, donc attaquable en justice. Les syndicats ont couru derrière le leurre.
Dans ce contexte, parler de « recul du gouvernement », de « victoire de la résistance sociale » ou de « succès de la concertation« , serait prendre les gens pour des imbéciles. S’il ne réagit pas tout de suite, le monde du travail perdra une conquête arrachée de haute lutte (par les travailleurs de Glaverbel-Gilly, dans le cadre de leurs « accords historiques » de 1975), les jeunes auront encore moins de possibilité d’emploi, les seniors subiront l’humiliation quotidienne de l’activation (alors qu’il n’y a pas d’embauche !), et les salaires ainsi que les conditions de travail des actifs seront mis encore plus sous pression par « l’armée de réserve ».
La question immédiate qui se pose est de savoir si les directions syndicales maintiendront leur exigence que l’accord au Groupe des 10 soit appliqué intégralement par le gouvernement, et lutteront sérieusement pour cela. Dans ce cas, ce sera l’affrontement. L’enjeu pour Michel-Jambon & Cie est en effet de pousser les syndicats dans le coin, de casser leur capacité d’influencer les décisions politiques. Ce sera donc un affrontement politique : FGTB et CSC se retrouveront confrontées à la nécessité d’oser faire tomber ce gouvernement de malheur (ce qu’elles ont refusé explicitement jusqu’à présent!).
Mais, dans ce cas, se reposera la question clé de l’alternative. Car, au-delà des jeux de mots surréalistes sur l’activation -« active » « passive » ou « taillée sur mesure » (!)- lutter pour le respect intégral de l’accord au Groupe des 10, c’est en fait lutter pour un accord qui entérine bel et bien la fin du système de prépension. Une fin un peu moins brutale que celle que veut imposer le gouvernement, une fin « concertée » entre « partenaires sociaux », mais une fin tout de même. Lutter pour le respect intégral de cet accord, c’est en fait lutter pour le maintien d’une concertation qui, depuis 30 ans, ne sert qu’à aménager la régression sociale. La mobilisation des travailleuses et travailleurs mérite mieux que cela.
Changer de stratégie
L’enchaînement des épisodes depuis la grève nationale de 24 heures du 15 décembre ne laisse aucun doute sur la conclusion à tirer: en optant pour la concertation et en acceptant le saucissonnage des revendications, les directions syndicales se sont surtout souciées de protéger leur fonction dans le « système belge ». Sans succès… Mais, en agissant de la sorte, elles ont gaspillé le rapport de forces construit à travers le plan d’action et permis à l’adversaire de reprendre la main.
Cette stratégie a engagé le monde du travail dans une impasse dangereuse. Il faut en sortir de toute urgence sans quoi les mauvais coups continueront à pleuvoir, le gouvernement de droite se stabilisera et le patronat redoublera d’arrogance. Pas besoin alors de boule de cristal pour prévoir la suite : sous prétexte de « tax shift », la sécurité sociale recevra un coup majeur, le droit de grève sera mis en cause et des masses croissantes d’exclu-e-s ou de précarisé-e-s détaché-e-s du mouvement ouvrier organisé deviendront une proie pour les démagogues fascistes et populistes.
Reprendre la lutte n’a de sens – et de chance de succès – que si les syndicats adoptent une stratégie de combat. Ils devraient pour cela :
1°) reprendre leur plateforme en quatre points ;
2°) compléter cette plateforme – y ajouter le refus de la pension à 67 ans, l’abolition des mesures chômage (notamment en matière d’allocations d’insertion) et le retrait de toutes les mesures iniques déjà prises par Michel (notamment le saut d’index) ou par les gouvernements régionaux;
3°) préciser la revendication de fiscalité juste, notamment en posant des revendications précises telles que la globalisation de tous les revenus avant imposition progressive ainsi que l’impôt exceptionnel et substantiel sur les patrimoines des 10% les plus riches ;
4°) considérer cette plateforme comme un tout « indivisible » à imposer par la lutte, tous ensemble ;
5°) exiger que cette plateforme soit reprise intégralement et activement par toutes les organisations politiques qui se réclament du monde du travail ;
6°) entamer la réflexion sur un plan anticapitaliste d’urgence (tel que les « 10 objectifs » de la FGTB de Charleroi) offrant une alternative d’ensemble à la destruction sociale et écologique.
Ne soyons pas naïfs. Les organisations syndicales ne prendront pas ce tournant si la gauche en leur sein ne coordonne pas ses efforts à tous les niveaux, dans les entreprises et dans les instances, par-delà les frontières entre FGTB et CSC, centrales, secteurs et régions, et si cette gauche ne prend pas elle-même toutes les initiatives utiles en direction d’autres mouvements sociaux.
Trop c’est trop ! Tous et toutes à l’action ! Bas les pattes des prépensions ! Retrait de toutes les mesures d’austérité ! Michel dégage !