La sociologue Anita Sarkeesian travaille sur le sexisme dans les médias et la culture populaire, portant un regard critique sur les jeux vidéos en particulier. Fin mai 2009 elle créé le compte FeministFrequency sur YouTube et met en ligne sa première vidéo. Fin juin 2009, elle lance le site feministfrequency.com, dont le but est de « déconstruire la représentation des femmes dans les médias » (source: wikipedia). Suite à son appel aux dons sur le site Kickstarter (2012) pour l’aider à lancer une série sur la représentation des femmes dans les jeux vidéos, elle subit de l’harcèlement publique, y compris menaces de viol et de mort. Apparemment elle a touché un nerf!
Anita Sarkeesian (photo: wikipedia)
Nous reproduisons ci-dessous un article de Rosita Manos au même sujet, paru dans L’Anticapitaliste n.100 du 14.11.2013 et mis en ligne par Gauche Anticapitaliste le 17.11.2013
——————————————-
«Je peux m’occuper de la maison, faire la cuisine, garder les enfants. J’organise vos rendez-vous. Je suis entièrement à votre disposition comme partenaire sexuelle. Vous n’avez pas besoin de me nourrir ou de me recharger… Voulez-vous me donner un nom?»
Kara est l’héroïne d’un court-métrage tourné en temps réel sur PlayStation 3. Imaginée par le créateur de jeux vidéo David Cage des studios français Quantic Dream, cette femme-robot plus vraie que nature est au service de son propriétaire. Véritable caricature de sexisme, Kara n’est qu’une illustration parmi tant d’autres de la représentation stéréotypée et érotisée de la femme qui est répandue et tolérée dans le monde du jeu vidéo, mais aussi dans tous les secteurs voisins: comics, mangas, et d’une manière plus générale, sur Internet.
L’industrie du jeu vidéo et des comics
Le problème vient de l’industrie. Les personnages féminins sont conçus pour le plaisir du consommateur mâle, hétéro, travaillé par ses hormones: systématiquement sexualisés, accoutrés de costumes dénudés. Leurs poses sont lascives, sexy, souvent anatomiquement impossibles. Leurs traits sont uniformes, répondant parfaitement aux diktats physiques irréalistes en vigueur. Ils sont tués, violés, maltraités pour motiver le protagoniste masculin. Lorsqu’ils sont les héros de leur jeu ou de leur comics, ils n’en sont pas moins réduits à l’état d’objet sexuel au service des pulsions du joueur/lecteur. A ce titre, le dernier Tomb Raider est édifiant et la presse spécialisée s’en est d’ailleurs donnée à cœur joie; le magazine Joystick titrait en effet à sa sortie: «Tomb Raider, c’était hype en 1996 et déjà ringard en 1998. Il était temps que ça change! Et tant pis si, pour aboutir à un résultat séduisant, il faut malmener l’héroïne (Lara Croft) autant que peut l’être une actrice de gonzo SM». L’héroïne, jugée trop forte, trop indépendante et trop fière par l’auteur de cet article et par un grand nombre de commentateurs sera donc «remise à sa place», «humiliée et souillée sans aucun ménagement» pour le plus grand plaisir de ces messieurs.
La communauté geek et Internet
Le problème vient de la communauté. Le milieu geek est macho, il y règne une ambiance misogyne assumée. Tous les geeks, tous les joueurs et tous les passionnés d’informatique ne sont pas machos, certains même sont écœurés par le comportement et les commentaires haineux de leurs homologues, mais il faut pourtant bien se rendre à l’évidence: en ligne, l’anonymat aidant, l’agression sexuelle et le harcèlement sont monnaie courante, et l’exclusion des femmes est la norme. Que ce soit lors de parties en ligne, de tournois de jeux vidéo, ou de conventions spécialisées, les femmes rapportent des expériences insoutenables: commentaires lourds, agressions, harcèlements, tripotages, moqueries, insultes, menaces. Elles y sont décrédibilisées et renvoyées à la cuisine (l’expression «go back in the kitchen» est une remarque récurrente et considérée comme «humoristique» dans le milieu).
Internet est un espace merveilleux. Un espace où tout le monde peut librement prendre la parole, exprimer des opinions, partager des contenus. Ainsi, il reflète la société dans laquelle nous vivons, nous informe sur les valeurs qui prévalent chez les jeunes, et sur les réflexions qu’ils peuvent mener. Aujourd’hui, Internet et ses forums, Youtube et Twitter, nous informent qu’il y a un problème. Que derrière leurs écrans, les jeunes reproduisent et intègrent à l’extrême des comportements et des conceptions que l’on pourrait croire d’un autre temps. Internet véhicule les informations et la culture plus rapidement et de manière plus étendue que tout autre moyen de communication. Le féminisme doit donc s’attaquer à ces questions et se positionner aussi sur ce terrain-là.