Donald Trump a gagné l’élection présidentielle principalement en raison du vote des riches et de la classe moyenne, mais le vote ouvrier était également important et il n’aurait pas pu gagner sans lui.
Trump a fait campagne pour la Présidence sur une plate-forme destinée à conquérir des électeurs de la classe ouvrière, mais surtout les travailleurs blancs. Son programme nationaliste promettait, d’une part, des projets d’infrastructure tels que la construction d’autoroutes, de ponts et de chemins de fer, et, d’autre part, l’érection d’un mur le long de la frontière sud de la nation pour repousser les immigrant.e.s qui sont des concurrent.e.s à faible salaire pour des travailleurs/euses américain.e.s natifs/ves. La combinaison des incitations économiques et de la xénophobie s’est révélée juste assez forte pour gagner quelques centaines de milliers d’électeurs de la classe ouvrière blanche de la Rust Belt qui ont fourni à Trump sa faible majorité au collège électoral.
Le cabinet du travail de Trump
Alors qu’il promettait des emplois, Trump n’a jamais promis de respecter les syndicats, les contrats syndicaux, les salaires. Trump a désigné Andrew Pudzer comme Secrétaire au Travail et Betsy DeVos comme Secrétaire à l’Education. Tous deux sont connus pour leurs positions antisyndicales. Devos, une milliardaire, a été une dirigeante du mouvement appelé «Choix de l’école» : elle a promu les écoles privées contre les écoles publiques, en utilisant une partie de sa fortune immense pour le faire. Le Sénat l’a confirmée par un vote. Les syndicats d’enseignant.e.s la considèrent comme un ennemi mortel.
Le candidat au poste de Secrétaire au Travail, Pudzer, qui pèse 25 millions de dollars, est le PDG de CKE Restaurants, qui gère les chaînes de fast-food Hardee et Carl’s Jr. Il s’oppose aux lois sur le salaire minimum ainsi qu’à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Son palmarès en tant qu’employeur est choquant. Ses employé.e.s ont déposé de nombreuses plaintes contre ses franchises, l’accusant de vol de salaire, de harcèlement sexuel et de pratiques de travail déloyales. Il a également illégalement employé une travailleuse sans-papiers comme femme de ménage et a été accusé d’abus par sa femme. Trump pourrait bien avoir à retirer la nomination de Pudzer. (*)
Gagner les syndicats de branche
Lors de son premier jour de mandat, Trump a rencontré les dirigeants des syndicats du bâtiment. Ces métiers sont historiquement la section la plus conservatrice du mouvement ouvrier américain, composé de métiers tels que les charpentiers et les électriciens. Les dirigeants corpulents de ces syndicats de branche se répandent avec enthousiasme sur le nouveau Président qui a parlé aux dirigeants syndicaux de ses plans d’autoroutes, de ponts et, bien sûr, du mur à la frontière.
« Nous sommes de la même industrie », a déclaré Garvey Sean McGarvey, président du North America’s Building Trades Unions. «Il comprend l’importance de l’ascension sociale, de l’accès à la classe moyenne.» Un accès réservé à certains, blancs en majorité, bien entendu. Il y a cinquante ans, les travailleurs de la construction étaient presque tous des hommes blancs. Aujourd’hui, à l’exception de la Laborers International Union, qui compte beaucoup de membres noirs et latinos, ces syndicats restent en général essentiellement blancs et masculins. Le tournant de Trump vers ces métiers est destiné à consolider sa base parmi la classe ouvrière blanche.
Pourtant, ce plan ne va pas sans problèmes. Le programme de 2016 du Parti républicain demande l’abrogation de la loi Bacon-Davis de 1931, qui stipule que les projets de travaux publics paient les salaires locaux en vigueur (généralement l’échelle syndicale). Cette loi a été absolument essentielle au maintien des salaires et des revenus des travailleurs de la construction. Si Bacon-Davis était renversé, l’impact sur les métiers serait désastreux.
Quand Trump a été interrogé sur Bacon-Davis, il a refusé de s’engager mais, quelques jours plus tard à peine, le sénateur républicain Jeff Flake de l’Arizona a présenté un projet de loi pour suspendre Bacon-Davis sur les projets routiers fédéraux. Le président général des Teamsters (chauffeurs de camion), James P. Hoffa, félicite également Trump. Beaucoup de Teamsters travaillent dans les métiers du bâtiment, conduisant les camions à benne, les camions de ciment et livrant les poutres d’acier sur le chantier [j’ai fait ce job]. Les Teamsters ont loué Trump pour ce qu’ils appellent le «but de bon sens» de ses projets d’infrastructure.
M. Hoffa a également félicité Trump pour avoir retiré les États-Unis du Partenariat transpacifique, ainsi que pour sa promesse de réviser ou d’abandonner l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Les Teamsters veulent aussi que Trump modifie la clause de l’ALENA qui permet aux camionneurs mexicains de franchir la frontière vers les États-Unis.
L’AFL-CIO – Neutralisé
La stratégie trumpiste de séduction des métiers du bâtiment semble avoir neutralisé efficacement l’AFL-CIO, la plus grande et la plus importante organisation ouvrière du pays, qui avait soutenu Hillary Clinton. Le président de la fédération, Richard Trumka, ancien président du United Mine Workers Union (UMW) – dont les membres ont largement voté pour Trump parce qu’il soutient l’utilisation du charbon – semble hésiter à défier directement Trump par crainte de perdre le soutien de puissants syndicats de branche.
Trump a a déclaré aux médias que l’élection était un référendum «sur le commerce, sur la relance de l’industrie, sur la relance de nos communautés». Il a ajouté: «Nous allons travailler à faire de plusieurs de ces promesses une réalité. S’il est prêt à travailler avec nous, conformément à nos valeurs, nous sommes prêts à travailler avec lui ». Il n’est pas surprenant que Trumka ait visité le Président quelques jours après l’élection et ait dit qu’il avait eu une «conversation productive».
Gel de l’embauche au fédéral, une gifle aux syndicats de fonctionnaires
Tout en étreignant les ouvriers blancs des métiers de la construction, Trump a simultanément agressé les fonctionnaires fédéraux, dont un nombre important sont des travailleuses noires. Il a signé une ordonnance exécutive qui gèle l’embauche pour les organes de l’exécutif, qui comptent 1,2 million d’employés. Les syndicats fédéraux ont rapidement critiqué cette décision, formulant leurs objections en termes de service à la société afin de gagner l’appui du public. «Ce gel de l’embauche signifierait des files plus longues dans les bureaux de la Sécurité sociale, moins d’inspections du travail, moins de surveillance des pollueurs et plus de risques pour l’approvisionnement alimentaire et en eau potable de notre nation», a déclaré J. David Cox Sr., de l’American Federation of Government Employees (AFGE). Le gel de l’embauche réduira également une source majeure d’emplois permanents, à temps plein, – bien que souvent faiblement rémunérés – avec des vacances et des avantages pour la santé de nombreux travailleurs, surtout des travailleurs noirs et des femmes.
La Cour suprême et les États
Le choix du juge fédéral Neil M. Gorsuch pour la Cour suprême sera très probablement approuvé par le Sénat. L’arrivée de Gorsuch créera une majorité conservatrice pour trancher dans l’affaire « Janus vs. AFSCME ». Cela signifie qu’il sera très probablement mis fin à la capacité de l’American Federation of County, State and Municipal Employees (AFSCME) de percevoir les cotisations des membres non syndiqués qu’ils sont obligés de représenter. Il en résultera la disette financière pour de nombreux syndicats d’employés publics, ce qui les obligera à réduire le personnel et les rendra moins efficaces. Beaucoup pourraient carrément disparaître.
Les syndicats des secteurs public et privé seront confrontés au défi des lois dites du « droit au travail » qui mettent les syndicats sur la touche. Le but est de mettre fin au système dit du « closed shop » qui consiste en ceci que, sur le lieu de travail, si la majorité vote pour un syndicat, tous les travailleurs doivent adhérer au syndicat et payer des cotisations. Vingt-huit États disposent actuellement de lois sur le « droit au travail ». Partout où les républicains ont le pouvoir, ils vont passer des lois sur le droit au travail au niveau de l’État. Le 1er février, les représentants Joe Wilson, R-S.C., et Steve King, R-Iowa, ont déposé au Congrès un projet de loi qui instaurerait le « droit au travail » dans tout le pays.
Certains travailleurs se joignent à la résistance
Alors que les métiers de la construction et les Teamsters ont adopté le projet de Trump, de nombreux autres syndicats sont entrés dans l’opposition. Les enseignant.e.s ont été à l’avant-garde de la résistance. La Fédération américaine des Enseignants (AFT) a mobilisé 250 sections locales dans plus de 200 villes la veille de l’inauguration, dans le cadre de la Journée nationale d’Action « ReclaimOurSchhols », contre Trump. L’Association nationale de l’Education (National Education Association), le plus grand syndicat du pays avec 2,7 millions de membres, a demandé à ses membres de quitter les écoles le jour de l’inauguration, pour protester contre Trump.
Les membres de la section locale 10 de l’International Longshore and Warehouse Union (ILWU) à Oakland, en Californie, un syndicat de dockers avec une longue histoire radicale et 50% d’affiliés noirs, ont cessé le travail le jour de l’inauguration. En dehors du mouvement syndical, les travailleurs/euses du secteur des services et de l’industrie des technologies de l’information ont émis des protestations importantes. La New York Taxi Workers Alliance – qui est une ONG, pas un syndicat – dont de nombreux membres sont des immigrés musulmans, s’est manifestée à l’aéroport de JFK, contre la politique de Trump à l’égard des migrant.e.s. Dans le même temps, les techniciens de Google en Californie et à Comcast Philadelphie manifestaient aussi contre cette politique. Sur ce point, les sections non organisées du mouvement ouvrier semblent plus actives que celles des syndicats.
Un moment critique
L’attaque de Trump contre les syndicats intervient à un moment critique. Le taux de syndicalisation est seulement de 10,7%, soit une baisse de 0,4 point par rapport à 2015. L’adhésion syndicale a diminué d’un quart de million de travailleurs/euses au cours de la même période pour s’établir à seulement 14,6 millions. Les grèves aux États-Unis restent peu nombreuses. C’est le cas depuis longtemps, mais surtout depuis la Grande Récession de 2008.
Les travailleurs/euses et les syndicats continuent à encaisser le choc de la présidence de Trump, élu il y a quelques semaines à peine, mais on peut s’attendre à une résistance croissante lorsque ses politiques anti-ouvrières se clarifieront. Nous avons besoin à la fois d’un mouvement à la base dans les syndicats et de campagnes de syndicalisation des travailleurs/euses non syndiqué.e.s, combinés à la vision radicale que les travailleurs/euses doivent avoir un rôle dominant dans le syndicat, sur le lieu de travail et dans la société.
(*) Cet article a été écrit avant que Pudzer renonce à être Secrétaire au Travail.
Article paru dans La Gauche #81, mars-avril 2017.