De multiples manœuvres ont lieu en Tunisie pour faire dévier l’horreur suscitée par l’attentat du 18 mars vers la mise en place d’une « union sacrée » entre toutes les composantes de la société. « La situation exige une unité nationale sans faille »…
Son premier objectif est de mettre un terme aux mouvements sociaux qui ne cessent de se développer depuis un an. Il faudrait que « les Tunisiens laissent derrière eux toutes les différences, toutes les revendications… pour s’unir, serrer les rangs derrière un ennemi commun ».
La presse aux ordres…
Des articles de presse fustigent « les Tunisiens qui trouvent les moyens de foutre la pagaille au nom de revendications soi-disant légitimes. Il ne s’est pas passé un jour, un seul, depuis quatre ans, sans que nos entreprises, nos écoles, nos hôpitaux ne soient paralysés par des débrayages intempestifs ». « Le moment n’est nullement propice aux grèves, aux surenchères et aux corporatismes étroits et étriqués ».
Par la même occasion, des articles de presse se multiplient pour expliquer qu’Ennahdha, qui dispose de près de 10 % des postes dans le nouveau gouvernement, aurait changé d’orientation. D’après ceux-ci, le parti islamiste condamnerait désormais les terroristes, qu’il a pourtant soigneusement protégés pendant les deux ans où il était au pouvoir.
D’autres articles n’hésitent pas à appeler à une remise en cause des libertés démocratiques, se référant au Patriot Act américain mis en place après les attentats de 2001, ou encore à s’appuyer sur des déclarations du Premier ministre britannique qui aurait récemment affirmé : « Quand il y a un danger qui menace le pays, que personne ne me parle des droits de l’homme »…
En ce qui le concerne, l’ancien membre du parti de Ben Ali et actuel Président de la république en profite pour expliquer qu’il faudrait désormais réhabiliter les hommes d’affaires compromis avec le pouvoir de Ben Ali. Essebsi a notamment expliqué que le pays avait « besoin de l’argent de ces hommes d’affaires », car d’après Tunis-hebdo, « leur contribution à l’investissement est crucial, et il faudrait lever toutes sortes d’interdictions et de contraintes dont ils font l’objet afin qu’ils redeviennent des acteurs de premier ordre dans l’économie »…
Tentative ratée d’instrumentalisation du FSM
Dans les heures qui ont suivi l’attentat, le pouvoir a voulu rencontrer le comité d’organisation du Forum social mondial qui se déroule du 24 au 28 mars à Tunis. La réponse de ce comité, composé de militantEs associatifs et syndicaux, ne s’est pas fait attendre : il a immédiatement refusé de se rendre au rendez-vous proposé par le pouvoir et a réaffirmé son refus de co-organiser quoi que ce soit avec lui.
Dès le lendemain, le comité a également décidé unilatéralement de changer le parcours de la manifestation d’ouverture du FSM qui a eu lieu mardi 24 mars pour que celle-ci se termine au Bardo. Le mot d’ordre en a été modifié et s’intitule maintenant : « Les peuples du monde contre le terrorisme, pour la justice sociale, la liberté et la paix », ce qui inclut le terrorisme d’État comme cela a été explicitement précisé lors de la conférence du lundi 23. Et la manifestation de clôture du samedi 28 mars se fera dans le même cadre.
Le pouvoir sort une deuxième carte
Sa première tentative ayant échoué concernant les manifestations des 24 et 28 mars, le pouvoir a annoncé dimanche 22 mars qu’il organisera une troisième manifestation le 29 mars. Celle-ci aurait lieu en présence des présidents de la République, du gouvernement et de l’Assemblée. Sur le modèle de la manifestation du 11 janvier à Paris, des chefs d’État étrangers seraient également conviés.
À l’heure où ses lignes sont écrites, les organisations associatives, syndicales et politiques débattent en leur sein sur la façon dont elles répondront à l’invitation qui leur est faite par le pouvoir de participer à cette initiative. Dans les secteurs les plus militants, la perspective de se retrouver derrière néolibéraux, islamistes ou « modernistes », suscite une franche hostilité.
De Tunis, Dominique Lerouge
Source : NPA