C’est avec une immense joie que l’arrestation de l’homme d’affaire turco-iranien Reza Zarrab au États-Unis, accusé de blanchiment d’argent, de fraude bancaire et de violation de l’embargo contre l’Iran, a été accueillie à travers les réseaux sociaux en Turquie…
La possibilité que l’enquête s’étende jusqu’au clan d’Erdogan a été perçue par des millions d’opposantEs comme une ultime chance de se libérer d’un régime qui n’hésite pas à pousser le pays dans une guerre sans fin contre le peuple kurde et à étouffer la moindre contestation démocratique, pour se maintenir au pouvoir, si ce n’est de se consolider à travers une réorganisation dictatoriale de l’appareil d’État.
L’AKP touché
Zarrab avait été une des principales figures des opérations anti-corruption de décembre 2013 au côté de quatre ministres du gouvernement, de leurs fils, et d’hommes d’affaire proches de l’AKP, le parti au pouvoir. L’enquête avait rapidement été étouffée avec l’intervention d’Erdogan, qui dans la meilleure tradition du populisme, avait présenté celle-ci comme une « tentative de coup d’État » dirigée par des procureurs et policiers liés à la confrérie islamique de Fethullah Gülen. Celle-ci, après avoir été pendant des années l’alliée de l’AKP, est devenue son principal ennemi, ou du moins partage ce titre avec le PKK.
Accusé de blanchiment d’argent et de trafic d’or avec l’Iran, Zarrab – qualifié de « bienfaiteur » par Erdogan – fut relâché après une détention de deux mois. Aujourd’hui, alors que son complice Babek Zenjani est condamné à mort pour corruption en Iran, Zarrab se retrouve, lui, derrière les barreaux à Miami et risque jusqu’à 75 ans de prison. Zarrab était en fait au cœur d’un réseau de trafic d’or s’étendant de la banque publique turque Halkbank à la compagnie nationale iranienne de pétrole et à la banque Mellat, qui avait permis à l’État turc, en contournant les sanctions économiques infligées par les États-Unis à l’Iran, d’acheter du pétrole et du gaz à ce dernier en échange de lingots d’or… L’exportation d’or de la Turquie vers l’Iran était ainsi montée de 53 millions de dollars en 2011 à 6.5 milliards l’année suivante…
Écran de fumée
Alors que face à cet événement, les médias pro-AKP – qui aiment bien paraître avec les mêmes titres à la Une, histoire de montrer leur dévouement à Erdogan – tentent ridiculement de présenter le procureur américain chargé de l’affaire Zarrab comme un pion de la confrérie Gülen, ils se précipitent actuellement pour louer les mérites de la fondation de charité et de soutien scolaire islamique Ensar… accusée pourtant d’être impliquée dans une affaire de viols et attouchements sexuels sur des mineurs. Un enseignant bénévole de la fondation avait en 2013 violé et touché 10 enfants ayant entre 8 et 10 ans dans la province de Karaman dans des locaux loués par Ensar.
Suite à la révélation de l’affaire, le fait que les députés AKP aient rejeté la motion parlementaire proposant une enquête sur cet événement et sur les agressions sexuelles sur les mineurs a suscité une indignation massive qui s’est au final soldée par l’approbation de la motion.
Le « nettoyage » continue…
Cependant, alors que les 21 derniers suspects membres de Daesh qui avaient été arrêtés dans le cadre des enquêtes sur les massacres de Suruç et Ankara ont été relâchés au lendemain des attentats d’Istanbul et de Bruxelles (les 74 autres l’avaient déjà été), les trois universitaires signataires de la pétition contre la guerre perpétrée par l’État au sud-est du pays continuent, eux, à être incarcérés pour « propagande d’organisation terroriste »…
« L’opération de nettoyage » – dixit Erdogan – continue cependant dans les villes de Yüksekova, Nusaybin et Şırnak. Et à la suite de l’accomplissement de ce « nettoyage » par destruction dans le quartier historique de Sur à Diyarbakir, le conseil des ministres a adopté illico la décision d’expropriation de la quasi-totalité du district – inscrit sur la liste du patrimoine culturel de l’UNESCO – afin de soumettre Sur à un « réaménagement urbain »… La gentrification à la turque… sûrement afin d’en faire un nouveau Toledo (la ville espagnole reconstruite après la Guerre civile), ainsi que le Premier ministre Davutoglu l’a déclaré au début des opérations…
D’Istanbul, Uraz Aydin
Source : NPA