Selon l’agence Reuters (service français), en date du 22 octobre 2015, le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré que le double attentat suicide qui a fait plus de 100 morts, il y a douze jours à Ankara, impliquait l’Etat islamique (EI), les rebelles kurdes et la police secrète syrienne! «Cet incident montre à quel point la terreur est mise en oeuvre de manière collective. C’est un acte de terreur totalement collectif qui inclut l’EI (Daech), le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), les moukhabarat (police secrète syrienne) et le groupe terroriste PYD (Parti de l’Union démocratique) du nord de la Syrie.» «Ils ont commis cet acte ensemble» a déclaré Erdogan.
Soli Ozel, professeur à l’université Kadir Has à Istanbul, a affirmé à ce propos: «Le pouvoir essaie de s’en sortir en disant que l’Etat islamique et le PKK ont commis l’attentat ensemble. Aucune personne dans le monde ne prendra cette thèse au sérieux.»
Dans la nuit du 20 au 21 octobre, le président du barreau de Diyarbakir, Tahir Elçi, a été interpellé, mis en garde à vue et immédiatement présenté à un juge. Tahir Elçi a été interrogé durant plus de deux heures. Il est frappé d’une interdiction de sortir du territoire national et reste inculpé de propagande terroriste, il risque quinze ans de prison. Utilisant son droit à exprimer une opinion, il a réitéré son point de vue à la sortie du tribunal, à savoir que « le PKK, bien qu’utilisant parfois des méthodes terroristes, n’est pas une organisation terroriste mais un mouvement politique armé bénéficiant d’un large soutien populaire». La date du procès n’a pas encore été fixée.
Selon Jérôme Bastion (RFI): «C’est la première fois dans l’histoire du pays, en dehors du coup d’Etat de 1980, qu’un juriste de ce rang est arrêté en Turquie, ce qui dénote l’état de déliquescence et d’instrumentalisation de la justice dans ce pays. Son arrestation n’est pas vraiment passée inaperçue même si elle est loin d’être la seule; il faut rappeler que chaque jour des dizaines de personnes sont arrêtées dans le cadre de rafles menées au nom de la lutte anti-terroriste. Mais l’arrestation d’un président de barreau n’est pas banale et les avocats de nombreuses juridictions dans le pays ont cessé le travail pour protester contre cet état de fait, estimant que cette arrestation était tout simplement illégale.» L’utilisation du terme «guerre» par Erdogan et les porte-parole de l’AKP (Parti de la justice et du développement) pousse divers analystes à envisager, pour divers prétextes, une suspension des élections fixées au 1er novembre, étant donné l’incertitude pour l’AKP d’obtenir la majorité absolue.
Nous publions ci-dessous l’article que le rédacteur de la revue nous a fait parvenir Uraz Aydin, membre de la rédaction de la revue Yeniyol. (Rédaction A l’Encontre)
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«Nous avons la liste des kamikazes, mais nous ne pouvons pas les arrêter tant qu’ils ne passent pas à l’action. Vous ne pouvez pas arrêter les gens sans raison », a déclaré le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu, deux jours après l’attentat d’Ankara du 10 octobre qui avait causé la mort de 106 manifestants pour la paix.
En guise de réponse aux critiques sur la déficience des services de renseignements, Davutoglu a ainsi tenté d’expliquer que le gouvernement contrôlait la situation. A cette occasion, il a exprimé sa foi en l’«État de droit».
Un laisser-faire criminel…
Inutile bien évidemment de lui rappeler que, depuis presqu’un an, suite à une révision du Code de procédure pénale, un simple «soupçon raisonnable» est suffisant pour autoriser la police à mener des perquisitions et à déclencher des garde à vue, ce qui a d’ailleurs été utilisé maintes fois contre activistes, opposants, et journalistes critiques vis-à-vis du gouvernement, comme l’arrestation récente à Diyarbakir d’un lycéen qui, ayant les mains sales, fut suspecté d’avoir participé à des échauffourées avec la police.
Toutefois malgré l’aberrante interdiction de toute «information, reportage, critique» dans les médias jusqu’à la clôture des investigations, il est avéré que les termes de «déficience» ou même de «négligence» ne sont pas suffisants pour rendre compte de la responsabilité de l’État dans «le plus grand attentat terroriste de l’histoire de la Turquie».
En effet par l’intermédiaire de certains quotidiens refusant de se soumettre à cette interdiction, l’opinion publique a appris que la cellule de militants djihadiste recrutés dans la ville d’Adiyaman et liés à Daech était sur écoute depuis 2013. Rappelons que les kamikazes de l’attentat de Diyarbakir lors du meeting du HDP (Parti démocrarique des peuples) – 4 morts – et de celui de Suruç (32 morts) appartenaient aussi à cette cellule. Ce dernier kamikaze était d’ailleurs le frère d’un des kamikazes de l’explosion d’Ankara. Les parents des militants djihadistes avaient, à plusieurs reprises, signalé l’adhésion de leur fils à Daech à la police et donné les noms des autres membres de la cellule…
Mensonges d’État
En outre, alors que le rôle de Daech dans l’attentat d’Ankara est devenu incontestable, le gouvernement, de même qu’Erdogan s’en tiennent à leur première déclaration, à savoir que l’attentat pourrait être commis par l’alliance de plusieurs organisations. Si l’organisation d’extrême gauche DHKP-C et la confrérie Gülen – ancien allié de l’AKP (Parti de la justice et du développement) dont la présence dans la bureaucratie a été jugée comme une menace pour le gouvernement – ne sont maintenant plus citées, le PKK est montré du doigt comme le principal promoteur des explosions aux côtés de Daech par les médias organiques de l’AKP. « Daech et le PKK pourraient s’être mis d’accord», a osé déclarer le ministre chargé des rapports avec l’Union européenne, ancien professeur en relations internationales…
L’AKP en est ainsi arrivé à recourir aux plus flagrants mensonges afin de discréditer le mouvement kurde, faire baisser les voix du HDP, et rester au pouvoir, sans être dans l’obligation de former un gouvernement de coalition susceptible d’affaiblir son parti-État.
La guerre continue
L’annonce par le PKK qu’il arrêtait ses actions militaires (sauf en cas d’agression par les forces turques) pour ne pas entraver le déroulement des élections anticipées du 1er novembre 2015 n’a pas eu de retentissement au niveau du gouvernement. La guerre continue: des enfants, des jeunes, des femmes meurent tous les jours.
La constitution est, de facto, suspendu, l’appareil judiciaire ne fonctionne pas, la presse est sous diktat, une vingtaine de maires kurdes sont arrêtés pour «soutien à l’organisation terroriste», un régime de terreur est en vigueur…
Et l’Union européenne (UE) semble prête à s’en accommoder, à condition que la Turquie accepte de devenir un énorme camp de détention pour migrant·e·s, loin de ses yeux… Encore une fois, l’impérialisme ne trahit pas sa tradition d’arriver toujours à l’heure pour sauver les siens. A nous tous de perturber leur horloge. (21 octobre 2015, d’Istanbul)
Source : A l’encontre