Voici quelques temps, un article de Zbigniew Kowalewski traduit et publié sur Mediapart caractérisait la « rébellion du Donbass » de soulèvement « oligarchique », et la rapprochait des « contras » qui, dans les années 1980, combattaient la révolution et l’unité nationale du Nicaragua avec l’aide et l’assistance de l’impérialisme US. Bien évidemment, cette analyse sobre avait suscité bien des réactions hostiles de la part des miliciens de forum aidés de quelques ex-militant « de gauche de gauche » cherchant à se conforter dans la croyance qu’il n’est d’impérialisme qu’américain.
Elle trouve ici une confirmation éclatante puisée à ce que l’on n’ose appeler une fort bonne source : l’un des chefs de la dite « insurrection » explique tranquillement qu’il n’a jamais été question de révolution sociale, mais seulement de révolution nationaliste russe, et que la propriété privée n’a jamais été menacée de nationalisation dans le Donbass, en tout cas pas la principale propriété privée, celle de l’oligarque Akhmetov. Rinat Akhmetov, parrain de Ianoukovitch, était et reste le premier capitaliste d’Ukraine et l’homme le plus riche du pays. Son clan était au pouvoir à Kiev jusqu’au Maidan. De même que l’extrême-droite ukrainienne a reculé depuis le Maidan, de même le grand capital a été affaibli dans ce pays par le mouvement démocratique et social, bien que les oligarques soient toujours au pouvoir. Mais ceux qui ont pris le relais sont des petites mains comparé à Akhmetov. Celui-ci s’est fait trés discret et l’on s’est souvent demandé où il était passé. Il finançait les « séparatistes ».
Le cours réel des évènements est, ceci dit, un peu plus compliqué que ne le raconte ici Borodai. A Marioupol ce ne sont pas seulement les moyens de pression d’Akhmetov qui ont empéché les « séparatistes » de prendre la ville, mais bel et bien une résistance populaire et sociale qui est montée en puissance depuis des mois. C’est dès avril-mai 2014 que Marioupol résistait (il y eut d’ailleurs une tentative de la blogosphère se croyant rouge ou étant franchement brune-blanche de faire croire à un « génocide », relayée sur les forums de Mediapart bien sûr, à Marioupol à cette époque), et qu’Akhmetov tout en payant les policiers et miliciens prorusses dans le reste du Donbass organisait des « milices de mineurs » dans Marioupol censées en assurer la neutralité. En septembre, les pressions dont parle Borodai, pour empêcher ce qui est alors une intervention russe rendue nécessaire par la défaite des miliciens à Slaviansk, pour maintenir Marioupol comme son débouché maritime, coïncident avec le premier cessez-le-feu. Bref, l’explication par l’argent et les oligarques, seule vision de l’histoire qu’un Borodai puisse saisir de toute évidence, n’est pas complète : la résistance populaire en est aussi un facteur actif, mais ça il ne peut pas le comprendre. Et il ne peut pas le comprendre aussi pour cette raison bien simple que lui-même n’a jamais été à la tête, de près ou de loin, de quelque insurrection populaire que ce soit, laquelle n’a jamais existé dans le Donbass.
Un dernier mot de présentation s’impose : non, le nom du site russe cité ici où Borodai s’explique, « Sputnik et pogrom », n’est ni un gag ni un fake. Ce site au nom provocateur, associant délibéremment l’image emblématique de la technologie soviétique au souvenir le plus sombre du tsarisme, est parfaitement bien défini ci-dessous par l’expression « site nationaliste hipster » : ces gens s’amusent beaucoup à parler pogroms, contre les Juifs, contre les caucasiens, ou contre les Ukrainiens (mais avec eux c’est plus facile, puisque comme chacun sait les Ukrainiens ça n’existe pas, c’est une invention judéo-nazie et germano-américaine ! ). Extrême-droite branchée où l’on aime bien citer Goebbels : http://sputnikipogrom.com/et http://sputnikipogrom.com/politics/5401/love_and_death_and_pogrom/#.VSpXIZMnvMo.Le programme de ce site « hipster » est ainsi résumé par un de ses articles-phares datant de fin 2013, suite à des assassinats de caucasiens à Moscou :
« Rebelle-toi ! Les conflits interethniques deviennent progressivement une option socialement acceptable pour résoudre des problèmes qui ne datent pas d’hier. »
Pendant qu’avec l’aide de J.L. Mélenchon on fait croire à des militants français, il est vrai tout aussi crédules que dans les années trente du siècle dernier hélas, que le fascisme règne à Kiev, voila le vrai visage des forces qu’on voudrait les conduire à soutenir !
VincentPrésumey
Alexander Borodai, ancien « Premier ministre » de la République populaire auto-proclamée de Donestk (RPD) a affirmé récemment, lors d’un meeting nationaliste russe, que Rinat Akhmetov, le principal oligarque du Donbass, dont la fortune est évaluée à 6-7 milliards de dollars, soutenait les séparatistes.
Cette réunion avait été organisée à Moscou, le 14 mars, par Igor Prosvririne, éditeur deSpoutnik et Pogrom, un site nationaliste hipster, et postée sur YouTube le 26 mars. C’est la première fois que la collaboration entre cet oligarque et les séparatistes du Donbass est reconnue si ouvertement. Le compte-rendu ci-dessous est tiré de l’enregistrement vidéo de cet événement (en russe), disponible sur YouTube [1].
Séparatistes au service d’un oligarque
Interrogé sur les raisons pour lesquelles les biens de Rinat Akhmetov n’avaient pas encore été nationalisés par la ‘République populaire’, comme cela avait été promis antérieurement, Borodai a répondu que cela n’était pas possible : « Imaginons que nous nationalisions effectivement M. Akhmetov, a-t-il poursuivi. Les affaires qui lui appartiennent, situées sur le territoire de la RPD, ont fonctionné pendant tout ce temps avec une étonnante stabilité. Et M. Akhmetov, qui a été un pilier et un fondateur de la politique ukrainienne pendant longtemps, un homme qui tenait même informellement l’Ukraine entre ses mains, trouve la situation actuelle avantageuse. Laissez-moi expliquer pourquoi. Il a beaucoup d’ennemis parmi les autorités actuelles de Kiev et au sein de l’establishment. Bien, Akhmetov trouve donc utile que les affaires situées sur le territoire de la RPD puissent tourner. Il est avantageux pour lui de pouvoir exporter ses produits. Ils doivent être chargés sur des bateaux. Vers quelle destination ? L’Italie. Et comment ? Par des ports de mer. Lesquels ? Le seul port qu’il puisse utiliser est Marioupol. »
Borodai admet ainsi presque explicitement que Marioupol n’a pas été prise par les forces séparatistes pour la seule raison que celles-ci ont passé un accord avec Akhmetov. Les séparatistes laissent ce port ukrainien à l’oligarque pour lui permettre d’exporter les produits de ses compagnies fabriqués dans les territoires occupés, ajoute-t-il, et Akhmetov s’engage à soutenir les séparatistes de la RPD avec ses produits.
Petits arrangements entre amis
« Ainsi, savez-vous pourquoi nous n’avons pas pris Marioupol en septembre, même si nous en avions la possibilité, a repris Borodai ? Parce que sinon, comment aurait-il exporté ses produits des territoires terroristes (selon l’Ouest) de la RPD vers l’Italie ? De toute évidence, cela lui aurait été impossible. Il ne pouvait les faire sortir que du territoire ukrainien, et le seul port qui lui restait ouvert, c’était Marioupol. Odessa est contrôlé par Kolomoisky [un autre oligarque], et il n’en n’aurait jamais autorisé l’accès à Akhmetov. C’est pourquoi, Marioupol était la seule voie possible pour que les affaires d’Akhmetov continuent à fonctionner. Ce port devait donc rester sous le drapeau ukrainien bleu et jaune. »
De plus, « Akhmetov exporte ses produits en Italie et reçoit de l’argent », a ajouté Borodai. « A qui profite cet argent ? Bien, sûr à M. Akhmetov avant tout, c’est clair. Et savez-vous quel est le montant de l’aide humanitaire fournie par Akhmetov à la RPD ? La ‘République de Donestk’ vit en partie de cette assistance humanitaire. Et c’est par les sociétés de M. Akhmetov que des employés, qui sont aussi des citoyens de la RPD, sont payés. Imaginons juste que nous nationalisions les affaires de M. Akhmetov et que tout cela devienne notre propriété. Qu’en ferions-nous ? Transporterions-nous ces produits en Italie pour les vendre ? A qui ? Imaginez des représentants de la RPD frappant à la porte d’une officine milanaise pour lui dire ‘Nous vous apportons vos lingots, 100 000 tonnes de lingots’ ».
Une guerre en vain ?
Le monologue de Borodai et sa reconnaissance des accords entre les séparatistes de la RPD et Rinat Akhmetov ont alors suscité la colère des nationalistes russes. Prosvirine l’a interrompu plusieurs fois pour dire que des oligarques russes auraient aussi pu se charger d’exporter les produits de la RPD. Mais Borodai a affirmé que ceux-ci n’auraient pas été capables de le faire.
« Pas un seul oligarque russe ne s’intéresserait à un tel projet, a-t-il expliqué. D’abord, la Russie dispose de produits similaires en quantité et ne saurait quoi en faire. Nos industries, y compris nos aciéries, tournent actuellement à 40% de leurs capacités. Les contrats internationaux sont conclus pour des quantités bien définies et ensuite renégociés. Et des experts peuvent aisément déterminer la provenance de produits volés. En d’autres termes, les Russes ne pourraient pas vendre des produits d’Akhmetov ; ce n’est pas réaliste. Et qu’arriverait-il s’ils n’étaient pas vendus ? Il n’y aurait plus d’aide humanitaire, et les travailleurs, ingénieurs et autres, ne seraient plus payés. Qu’est-ce que cela signifierait pour la ‘République de Donestk’ ? La famine. Simplement la famine. Pas ce que nous connaissons aujourd’hui, mais une famine réelle, vraiment sérieuse ».
Choqué par les commentaires plutôt cyniques de Borodai, Prosvirine lui a rétorqué que la guerre dans le Donbass avait donc été menée en vain. « Tout va donc rester exactement comme avant ; seuls les signes vont changer, et la moitié de la ville aura été détruite par les bombes. On peut être contre le fascisme, pour le fascisme, être antifasciste ou fasciste, tout ce qu’on veut… Pourtant, ce qui compte, c’est que les résultats des privatisations des années 1990 sont sacrés », s’est-il exclamé de façon sarcastique.
Pour toute réponse, Borodai lui a répondu que personne n’avait promis une révolution sociale au Donbass. L’objectif principal de cette guerre, c’était une révolution, pas même nationale, mais plutôt impériale, au nom de la ‘Grande Russie’.
* Article à paraître dans le prochain numéro de « solidaritéS » (Suisse).
Source : ESSF