Ce 6 mai, plus de 30 000 moscovites ont participé à une nouvelle action de contestation. Celle-ci a révélé à la fois le mécontentement massif qui continue d’animer la société et le désarroi de celle-ci face aux nouveaux défis lancés au mouvement d’opposition par le gouvernement. Il y a tout juste un an, à la veille de l’entrée en vigueur du troisième mandat présidentiel de Vladimir Poutine, une « marche des millions » a été organisée par l’opposition à Moscou ; elle s’est conclue sur des violences policières sans précédent. À la fin de cette manifestation qui rassemblait des dizaines de milliers de personnes dans le centre-ville, la police a de façon inattendue barré l’accès à la place Bolotnaïa où devait avoir lieu le rassemblement. La foule a alors déboulé sur la place et la police a commencé à cogner brutalement, faisant des dizaines de blessés.
Aujourd’hui, il ne fait aucun doute que ces événements étaient planifiés par les autorités dans le but de donner une leçon sanglante au mouvement qui s’était développé de façon soudaine en Russie. Durant l’année écoulée depuis lors, un procès politique au motif de « troubles massifs de l’ordre public » a été monté. Aussi bien des citoyens lambda ayant participé à la manifestation que des figures publiques de l’opposition ont ainsi été arrêtés et, dans le second cas, ouvertement accusés de fomenter un complot antigouvernemental. Tout récemment, le 28 avril, le 27ème accusé dans cette affaire, Alexeï Gaskarov a été arrêté. Gaskarov était l’un des représentants de la gauche radicale les plus connus du mouvement et de facto le seul « porte-parole » du mouvement antifasciste. Alexeï compte parmi les quelques représentants de la gauche russe qui s’opposent résolument à une distanciation sectaire par rapport au mouvement « pour des élections justes ». Il faisait tout pour faire entendre aux manifestants une position alternative à celle des leaders libéraux. Cette arrestation confirme s’il le fallait que les autorités voient en l’opposition de gauche un grand danger et tentent de neutraliser ses leaders les plus en vue : en premier lieu Sergueï Oudaltsov et maintenant Alekseï Gaskarov.
Par ailleurs, le meeting qui a eu lieu la semaine dernière, malgré son ampleur, a mis en lumière l’absence de stratégie claire à proposer au mouvement dans le chef des leaders libéraux. Une partie des orateurs, parmi lesquels Alexeï Navalnyi, s’est contentée d’appeler la foule à ne pas perdre espoir et à participer à de nouvelles actions. Les autres ont parlé des élections locales à venir et de la nécessité de soutenir les « forces démocratiques » à cette occasion. Seuls les représentants du Mouvement socialiste de Russie (RSD) et du Front de Gauche qui ont pu prendre la parole ont évoqué la nécessité d’unifier les revendications démocratiques et sociales. Dans une lettre qu’il avait pu transmettre par le biais de son avocat et qui a été lue sur la scène, Sergueï Oudaltsov a évoqué la perspective d’une grève générale politique.
Bien qu’il soit pertinent d’un point de vue stratégique, cet appel apparaît complètement irréaliste dans la situation actuelle. Le mouvement de contestation connaît une période de tassement manifeste, même à Moscou. D’un côté, ils et elles sont de moins en moins nombreux à vouloir prendre les rues. Mais de l’autre, le mécontentement vis-à-vis des politiques du gouvernement va croissant dans les couches les plus larges de la société. La stratégie de confrontation et de répression choisie par le gouvernement de Poutine, sur fond d’une situation économique qui se dégrade, peut mener à une nouvelle vague de protestations massives dans les délais les plus courts. C’est pour cela qu’il est tellement important pour la gauche russe de tenir bon face aux arrestations qui s’enchaînent.
Traduit du russe par Matilde Dugaucquier.