De Mehdi Meklat et Badroudine Saïd Abdallah, Éditions du Seuil, 2015, 16 euros.
Un premier roman contre « l’oubli permanent dont se nourrit l’actualité »1… Le premier roman de jeunes écrivains prometteurs, Mehdi Meklat et Badroudine Saïd Abdallah, est fondé sur le geste fort d’un homme : à 41 ans, Djamel Chaar est chômeur et apprend que ses droits aux indemnités chômage ne seront pas renouvelés ; et le 14 février 2013, il se donne la mort en s’immolant devant le Pôle emploi de Nantes.
En plus de rappeler que le chômage tue, ce roman propose habilement une mosaïque de regards saisissants sur cet homme, devenu dans la fiction un clown ! Oui, un clown, un comédien professionnel du rire qui prend, au fil de l’histoire, des allures de clown triste, cassé par la fermeture de l’usine où il travaillait et l’usure du chômage. Parce que dans cette histoire, Djamel a tout quitté, sa famille, le cirque, son pays natal, l’Algérie, pour venir en France retrouver la femme qu’il aime, celle qu’il a appris à aimer à travers un « chat » et une webcam.
Le style est tonique et la langue sans détours. L’originalité est d’avoir osé casser la linéarité du récit en brouillant la temporalité, en démultipliant les points de vue narratifs et en intercalant des documents de presse (entre autres). Loin d’une reconstitution, les deux auteurs proposent une navigation troublante dans des espaces mentaux qui témoignent des violences de cette bonne vieille société capitaliste. Du père de la femme de Djamel aux salariés du Pôle emploi en passant par le ministre du Travail, tout y passe, sans filtre ni complaisance : racisme ordinaire, ambition des puissants, exploitation… Mais ce premier opus, car oui la langue a du flow, ne s’arrête pas à un simple état des lieux flippant ou anxiogène, il crache des petites flammes de révoltes bien senties au milieu du bruit médiatique.
Notes :
1.Olivier Neveux, Politiques du spectateur, les enjeux du théâtre politique aujourd’hui, Éditions La Découverte, 2013, p.111.
Source : NPA