Il s’appelait Alain Vigneron. Il avait 45 ans. Il était brigadier, responsable de production au laminoir de Chertal. Il s’est pendu, samedi dernier, deux ans, jour pour jour, après l’annonce de la fin de la phase à chaud à Liège.
Dans une lettre d’adieu qu’il a adressée à ses proches et à son délégué syndical, il explique les raisons de son geste.
« Chère famille, je vous dis mes derniers mots. Je veux que vous respectiez ma femme et ma fille. Elles n’y sont pour rien. Je les ai fait souffrir énormément à cause de mon boulot pour Monsieur Mittal. Il m’a tout pris, mon emploi, ma famille. Combien de familles va-t-il encore détruire ? Moi, je n’en peux plus de ce milliardaire.
Mon ami Freddy s’est pendu dans la cabine au dégro, à cause de tous ces capitalistes comme Mittal. Il n’en pouvait plus, comme moi aujourd’hui.
Vous savez, je me bats depuis 31 ans pour avoir un petit quelque chose et voilà, je vais perdre mon emploi et combien de familles vont le perdre, Monsieur Mittal ?
Cher gouvernement, allez-vous enfin sauver les milliers d’emplois des familles qui en valent la peine ?
Ma petite femme et ma fille, je veux que vous sachiez que je vous aime, mais Monsieur Mittal m’a tout repris : la fierté, la politesse et le courage de me battre pour ma famille.
Et que la presse soit au courant de mon acte. J’ai des panneaux, je voudrais qu’ils soient à l’église, que tout le monde voit pourquoi j’ai mis fin à mes jours. J’y raconte mon parcours, les bons souvenirs avec ma famille.
Monsieur Mittal, merci encore d’avoir détruit tout. Combien de familles encore ?
Je voudrais que mes derniers mots soient lus à l’église, svp. Merci. Adieu.
Ne trichez pas sur mes derniers souhaits. Je les ai faits en plusieurs exemplaires. Merci pour mon respect.
Fred, je compte sur toi. Merci à tous les battants ».
Frédéric Gillot, le délégué syndical, collègue et ami de Alain Vigneron, traduit bien la tristesse, la colère et la révolte éprouvées par des milliers de sidérurgistes et bien au-delà, devant un système qui broie et détruit des vies humaines.
Il craint d’ailleurs que d’autres ouvriers ne supportent pas leur licenciement dans les mois à venir. : « Vous savez, chez Ford Genk, il y a eu 34 suicides depuis 10 ans. Chez Arcelor, depuis qu’on a annoncé la fermeture, il y en a eu 4 ou 5. Les ouvriers d’Arcelor ne se rendent pas encore bien compte de la catastrophe qui s’annonce. Sur 3000 personnes, 850 resteront. Dans certains services, ce sont deux personnes sur 3 qui vont recevoir leur C4. Beaucoup se font encore des illusions et ne veulent pas voir la réalité en face. Même si beaucoup sont fatigués, certains sont combattants… » (Interview au journal L’Avenir).
Frédéric Gillot traduit également ce qu’a éprouvé son ami Alain et ce que ressentent aujourd’hui les sidérurgistes – comme bien d’autres travailleurs – confrontés à des restructurations, des fermetures, des licenciements, à ce système capitaliste qui vous broie et vous jette comme des kleenex : « Il y avait chez mon camarade Alain Vigneron un sentiment d’abandon, un sentiment que tous les travailleurs de Mittal ressentent d’ailleurs » !