Aux yeux de beaucoup de francophones belges la flandre se présente comme une région profondément catholique. Rien n’est moins vrai. À première vue cependant, on a cette impression. Le réseau des écoles catholiques domine le réseau de l’enseignement, le syndicat chrétien et la mutualité chrétienne sont les plus grands, les hôpitaux sont dans leur grande majorité catholiques, sans oublier l’organisation de la jeunesse, la Chiro. Mais si l’Église a su préserver ces institutions qui dominent toujours le paysage flamand, ce n’est pas du tout le cas de la foi. Certes, certains éléments de cette idéologie continuent à imprégner les mentalités (les rites concernant baptême et mariage, œuvres de charité, aide aux démunis dont les réfugiés), mais en ce qui concerne l’observation des obligations comme la messe, la confession, etc., le catholicisme a connu un recul considérable. La déchristianisation massive a commencé au début des années 1960, liée à l’industrialisation du pays (dont l’urbanisation de la campagne), à l’introduction d’idées modernes et la naissance de l’État providence avec son individualisme consommateur. Fini la flandre qui fustigeait systématiquement la Révolution française comme le plus grand mal dont à souffert le peuple, qui considérait les non-croyants comme des ennemis de la culture, où l’organisation des Scriptores catholici prescrivaient ce que les écrivains devaient écrire, où la sexualité était réservée à la production de bébés, où les enseignantes divorcées perdaient leur boulot, où l’avortement est considéré comme un meurtre et l’euthanasie comme un meurtre assisté. L’enseignement catholique flamand s’est ouvert récemment aux enfants véhiculant d’autres opinions philosophiques (dont l’islam), et des parents se demandent s’il faut attribuer tant de temps à la religion. N’est-il pas vrai que l’archevêque Godfried Daneels (1979-2010) n’a pas osé élever la voix contre la loi sur l’avortement, sachant que la majorité des croyants ne le suivraient pas ? La seule figure publique qui a vraiment résisté, et cela en violant la constitution, était un roi exalté. N’est-il pas remarquable que la flandre n’ait pas connu un mouvement de masse réactionnaire comme la France (considérée comme laïque) contre le mariage pour tous ? Un coup très dur contre la foi catholique a été porté par le scandale mondial de la pédophilie pratiquée par une partie non négligeable du personnel au sol de l’Église. En Flandre les activités pédophiles de l’évêque Roger Vangheluwe (1985-2010) ont mis le feu aux poudres. De plus en plus d’églises ferment leurs portes et il y a un manque de curés considérable.
Plusieurs autres éléments ont joué dans la déchristianisation progressive de population flamande. La politique d’abord. Longtemps ce fut le parti catholique et puis le parti chrétien-démocrate qui dominait le comportement électoral de la population d’obédience catholique. Il fut un temps où l’évêque Jozef De Smedt (1952-1984) déclarait que voter pour la Volksunie était un pêché capital. Aujourd’hui les évêques se gardent bien de faire des déclarations politiques claires. Ils se limitent à des sermons sur le racisme, la pauvreté, la solidarité avec les victimes politiques et économiques du Tiers Monde. La bataille publique est non plus menée par les princes de l’Église, mais par des théologiens, comme Rik Torfs, l’actuel recteur de l’université catholique de Louvain (KUL), ex-élu des plus prétentieux de la démocratie chrétienne, qui, du haut de sa chaire académique, déclare que la vraie moralité est portée par les vrais chrétiens. Remarquons que le parti chrétien-démocrate, qui porte aujourd’hui en Flandre le nom de CD&V, est un parti minoritaire. J’attends avec impatience les réactions de la mutualité chrétienne et des syndicats chrétiens aux cadeaux accordés au Capital par le gouvernement, dont la CD&V minoritaire fait parti.
Un deuxième élément dans la déchristianisation est ce qu’on pourrait appeler la « religion à la carte ». Aujourd’hui beaucoup de gens se construisent une conception de la vie en puisant dans différentes traditions (un peu de bouddhisme, un peu de New Age, etc.), conception qu’ils considèrent comme conforme à leur personnalité.
Mais nous constatons également que l’arrivée d’une autre religion, l’islam, a provoqué un débat sur la place de la religion dans l’État, débat qui cache une réaction raciste ou stigmatisante sous la défense de traditions nationales, c’est-à-dire « chrétiennes ».
photomontage: Little Shiva