On dirait que le gouvernement n’a pas pris de vacances. Les ministres enfilent les mesures et les projets de mesures, toutes plus régressives les unes que les autres: Peeters sur la flexibilité à outrance, sur un blocage encore plus draconien des salaires ; Bacquelaine, après s’être attaqué à l’âge d’accès à la pension et aux conditions de carrière pour l’obtenir, cible maintenant les montants de pensions (et particulièrement les minimas) ; les femmes seront les premières touchées.
L’objectif du gouvernement: nous faire travailler plus longtemps, plus dur, plus flexibles, en réduisant les salaires et en fin de compte pour une pension réduite. Le gouvernement n’a qu’un leitmotiv: «raboter le budget des pensions parce que c’est impayable». D’un autre côté, les patrons estiment qu’on peut se permettre d’encore réduire l’impôt des sociétés d’un tiers. Alors que grâce aux cadeaux des gouvernements successifs, la plupart des grosses sociétés ne paient déjà quasiment pas d’impôts. Dans le même temps, le gouvernement annonce un dérapage budgétaire: «Il doit trouver 1,3 milliard pour garder 2016 dans les clous et déjà 1,1 milliard pour 2017. Il va être difficile de prendre des mesures qui feront effet en quelques semaines», estime un éditorialiste de la RTBF.
Toutes ces mesures font grincer des dents du côté syndical mais, néanmoins, au-delà des analyses et communiqués «de protestation», on ne voit pas se dessiner un véritable plan d’action pour stopper les attaques du gouvernement. On reste coincés dans les habituels appels à relancer la concertation comme dans cet article sur la page du SETCa dans Syndicats (n°13) qui analyse correctement les menaces du gouvernement mais se conclut par «l’avenir doit passer par une concertation sociale de qualité …» Chaque action espacée – grève ou manifestation sans lendemain – pourrait plutôt s’apparenter à une «pause dans la (longue) pause» sociale enclenchée en décembre 2014. Fin septembre et début octobre ressembleront-ils à mai et juin? Le gouvernement se sentirait en confiance pour continuer sur sa lancée et approfondir ses politiques d’austérité.
Tamellini, « l’affreux populiste »…
Dans cette période de fin de vacances, la presse cherche souvent à se mettre du croustillant sous la dent. Et quand il n’y a rien à remuer on le crée. Lundi 22 août, la FGTB lance un bref communiqué dans lequel il est précisé que Marc Goblet, son Secrétaire général, sera en arrêt-maladie pour quelque temps. Le mardi, le Bureau fédéral de l’organisation prend acte de son remplacement provisoire dans ses différentes missions, ce qui est tout à fait logique, par un autre membre du Secrétariat fédéral, Jean-François Tamellini. Il suivra en particulier les réunions du fameux «Groupe des 10» où patrons et syndicats tentent de s’accorder sur l’un ou l’autre avis à remettre au gouvernement. Une réunion de ce G10 avait d’ailleurs lieu le mardi 23 fin d’après-midi. Le 24 au matin J.F. Tamellini est longuement interviewé dans Matin Première sur la RTBF radio.
Beaucoup de ses réponses ne manquent pas d’intérêt pour mieux comprendre la stratégie syndicale, car elles condensent de manière limpide le fait que la direction interprofessionnelle de la FGTB assume pleinement l’échec des actions « presse-bouton » des 2 dernières années. Et ici, il convient d’être nuancé : je parle bien de la « direction interprofessionnelle de la FGTB » car ce n’est un mystère pour personne qu’il y dans le mouvement syndical toute une palette de nuances sur les stratégies à adopter. Évidemment entre CSC et FGTB mais aussi en leur sein entre les différents appareils de centrales. La préparation et la tenue des Elections Sociales exacerbant encore un peu plus la « concurrence » entre organisations de 2015 à 2016, l’intensité des actions a baissé peu à peu, ne mobilisant que la couche des militants les plus convaincus dans les manifestations et se résumant à des blocages d’entreprises et de zones industrielles par ceux-ci bien plus qu’à des grèves touchant massivement les affiliés le 24 juin dernier (mot d’ordre limité à la FGTB et à la CNE).
Il n’est néanmoins pas question d’ajuster ces stratégies pour améliorer le rapport de forces mais plutôt de faire un pas en arrière.
J.F. Tamellini dit notamment à ce propos: «Les mouvements sociaux n’ont pas fait reculer le gouvernement. Nous devons viser plus juste, viser ceux qui tiennent les rênes du gouvernement et le faire reculer». Et aussi: «Kris Peeters nous a demandé si l’on était prêt à négocier sur la flexibilité et nous avons dit oui».
Faire tomber le gouvernement ou le faire reculer ?
Cette question n’est pas que sémantique. Dans la bouche de J.F. Tamellini, qui peut être considéré comme symbolisant l’aile gauche de l’appareil syndical et qui a souvent évoqué dans le passé récent la chute du gouvernement , ce recul stratégique n’est pas anodin. Il n’y a finalement rien de bien neuf par rapport à la «trêve» de fin 2014, Tamellini ne fait que reporter loyalement la ligne des instances dirigeantes de son organisation. Une ligne qui s’apparente à un alignement avec la CSC dans la logique de négociation des miettes que Kris Peeters prend soin de présenter « aux interlocuteurs sociaux » pour laisser croire qu’il y a une marge de négociation. J.F. Tamellini y fait écho [dans les négociations sur la flexibilité]: « Nous avons constaté des reculs sur la position initiale du gouvernement. La modification d’horaire avec un délai de 24 heures pour les temps partiels est finalement restée fixée à 5 jours. Et pour la formation professionnelle, nous avons obtenu 5 jours pour les deux ans. C’était une revendication historique. »
Ces « reculs » sont-ils suffisants pour oublier les autres mesures « imbuvables » contenues dans les projets d’hyper-flexibilité et de blocage à long terme des salaires de Peeters ? Sont-ils suffisants pour aller à nouveau s’enfermer dans des négociations que tout le monde peut déjà qualifier de superficielles et stériles. Sont-ils suffisants pour refuser une nouvelle fois ce qui semble l’évidence : si nos moyens d’actions decrescendo de 2014, 2015, 2016, ne sont pas parvenu à faire reculer le gouvernement parce qu’ils n’étaient pas à la hauteur des enjeux, ne faut-il pas les adapter vers le haut, pour frapper plus fort, plus massivement. Et pas l’inverse.
« Plus ciblé » dit J. F. Tammellini. Ici encore d’accord avec lui s’il s’agit d’actions pour faire mal aux commanditaires du gouvernement. Mais pas un raccourci faisant l’économie d’actions très massives dans lesquelles les travailleurs peuvent prendre pleinement conscience de leur force. Il faut donc un vrai plan de mobilisation, avec des objectifs compréhensibles par tous, unifiant les différentes couches de la population qui sont frappées de plein fouet par les politiques d’austérité, mais que le matraquage idéologique du pouvoir parvient à dresser les unes contre les autres.
En tout cas pas un recentrage sur la ligne de la CSC. J.F. Tamellini apprécie Marie-Hélène Ska (CSC) « pour sa compétence » (elle avait eu des propos plus que désobligeants pour Marc Goblet à la rentrée 2015): « Elle connaît très bien les dossiers. En Groupe des 10 on avait le même discours et nos affiliés vivent les mêmes réalités, il y a un dialogue à ressouder ». Assez d’accord avec J.F. Tamellini pour constater que tous les travailleurs vivent les mêmes réalités, l’unité est plus que souhaitable mais le minimum que l’on peut alors attendre de la CSC c’est qu’elle confirme qu’en plus de la manifestation nationale du 29 septembre elle mobilise bien pour la grève du 7 octobre. Et du côté de la FGTB, flamande notamment, que l’on commence réellement à mobiliser.
Enfin, pour ceux qui pourraient penser que la mise en avant de J.F Tamellini signifie que les leçons de ces 18 mois de «lutte» à reculons contre le gouvernement ont été tirées, ils devront y regarder de plus près. Beaucoup s’interrogent d’ailleurs, comme cette militante de Charleroi: «je me suis posé de sérieuses questions ce matin en entendant cela… Avec une telle déclaration est-il nécessaire de descendre dans les rues le 29/09? Qu’ils se mettent autour de la table directement… ».
Un écran de fumée
Dès l’après-midi du mercredi 24, tous les autres médias, faisant au passage une fameuse soupe à propos du fonctionnement de la FGTB, ont occulté toute cette partie des déclarations de J.F. Tamellini, préférant lancer une polémique autour d’anciens tweets. On parle alors des «casseroles de Tamellini» ; à la FEB on s’indigne de son «langage insultant», «Ce genre d’affirmation, c’est du populisme, qu’il soit de droite ou de gauche», réagit le patron de Pairi Daiza.
Il est bien évident que cette mini-campagne de presse ne vise pas que J.F. Tamellini. À la veille d’une rentrée sur fond de mécontentement grandissant mais qui cherche sa voie, ce sont les militant.e.s, les travailleurs/euses qu’on essaie de démoraliser. Ce qu’ils attendent de leurs organisations, ce sont des objectifs et une stratégie d’action clairs. Comme le résume fort bien ce militant du Centre: «Je serai là le 29 septembre et je mobiliserai aussi pour le 7 octobre. Mais ces jours-là, j’exprimerai aussi qu’il nous faut un plan d’actions pour faire chuter le gouvernement. Cela veut dire aussi que l’on doit se battre pour un syndicalisme de combat (plutôt que de concertation), démocratique et indépendant».