Le Parlement européen a une fonction essentiellement symbolique – décorative, peut-on même dire. Plus généralement les institutions de l’UE, très loin d’une quelconque « démocratie européenne », sont étroitement contrôlées par les principaux gouvernements nationaux et leurs agents, dans le cadre de leur consensus néolibéral.
Comprendre la situation des institutions de l’Union Européenne ne peut se faire qu’en ayant à l’esprit que l’UE n’est pas un Etat, même embryonnaire. L’UE demeure une structure essentiellement intergouvernementale, aux mains des gouvernements des Etats membres. Etant entendu que les rapports de force politiques et économiques jouent à plein. En pratique, c’est évidemment le couple franco-allemand qui a le pouvoir. Encore faut-il ajouter qu’au sein de ce couple, l’impérialisme allemand a évidemment la place centrale – surtout depuis la réunification de 1989.
Quatre principales institutions se partagent le gros des pouvoirs exécutifs/législatifs au sein de l’Union Européenne, à quoi s’ajoute la Banque Centrale Européenne, qui a évidemment un rôle économique décisif.
Le Conseil européen
Il représente les chefs d’Etat et de gouvernement, flanqués du président de la Commission européenne. Dominé par les impérialismes allemands et français (voir le rôle du trio Barroso-Merkel-Sarkozy/Hollande dans la gestion de la crise capitaliste), c’est le véritable centre de décision politique de l’UE. Toutes les grandes décisions politiques concernant l’UE y sont prises : réforme des traités et des institutions, financement du budget européen, élargissement de l’Union, politique économique, etc.
Depuis 2010, un président de ce Conseil est désigné par ses membres – actuellement le belge Van Rompuy. En pratique, le rôle de ce président demeure extrêmement limité – Van Rompuy lui-même fut choisi pour sa discrétion…
Le Conseil de l’Union européenne (« Conseil des ministres »)
Il réunit les ministres des Etats membres (par domaine de compétences). C’est cette structure qui décide des actes législatifs et budgétaires consécutifs aux décisions du Conseil européen. Le conseil des ministres partage, avec le Parlement, le pouvoir législatif dans les domaines soumis à la codécision – autrement dit, il a un pouvoir d’obstruction fort quant aux décisions de ce « Parlement ».
La Commission
Composée d’un représentant par Etat (actuellement 28), cette Commission est l’exécutif de l’UE, donc soumise au Conseil. Le portugais Barroso (libéral, en fin de mandat) la dirige. Elle dispose de l’essentiel des pouvoirs d’initiative parlementaire. L’Histoire a montré que c’est elle qui a été le fer de lance de la politique de libéralisation/dérégulation menée à l’initiative de Bruxelles depuis les années 1980.
En pratique, donc, la Commission européenne opère hors du moindre contrôle démocratique un tant soit peu significatif. On sait pourtant que son rôle a été essentiel depuis 30 ans, notamment en ce qui concerne la mise en œuvre de les politiques de privatisation et déréglementation.
Fait nouveau : en 2014, en conséquence du traité de Lisbonne (2007), le président de la Commission devrait être issu de la liste électorale ayant obtenu le plus de voix. Il s’agit de tenter de donner un minimum de légitimité démocratique à cette commission, ce qui ne changera pourtant rien sur le fond.
Le Parlement
La Communauté économique européenne fut construite sur une base strictement intergouvernementale lors des discussions menant au traité de Rome (1957). Il n’était alors prévu qu’une Assemblée consultative, et rien de plus. Au fil des ans, la nécessité de doter la « construction européenne » d’un vernis démocratique s’est imposée, et il fut décidé d’élire ce « Parlement » directement (1979).
Il ne reste pas moins que les contradictions d’origine demeurent. Traditionnellement, un parlement est l’un des pivots institutionnels d’un Etat. Or, on sait que l’Union Européenne n’étant nullement un Etat (malgré certaines fonctions para ou supra-étatiques), l’institution que l’on désigne comme le Parlement européen ne peut en aucun cas être considérée comme une authentique structure parlementaire, car elle n’en a pas les prérogatives.
Cette chambre n’a ainsi pas de pouvoir en matière de politique monétaire, étrangère, agricole, judiciaire, etc. Concernant les traités, c’est encore plus clair : cette instance ne peut ni en proposer, ni les ratifier (ce rôle est dévolu aux Etats membres), ni les réviser et encore moins les dénoncer. On pourrait multiplier les exemples, mais c’est clair : le Parlement européen n’a de parlement que le nom. D’ailleurs, de quel peuple ce Parlement serait-il l’émanation, en l’absence de peuple européen ?
En tout cas, seul organe élu de l’UE, le parlement européen est étroitement contrôlé par les gouvernements des Etats membres. Ses attributions sont de trois ordres :
•Compétences législatives
Le Parlement européen participe à l’adoption des actes communautaires aux côtés du Conseil de l’Union européenne. Il se prononce, selon les domaines concernés, suivant différentes procédures : codécision, coopération, consultation, avis conforme et avis consultatif obligatoire. La codécision, qui est la procédure législative normale, suppose que le Conseil et le Parlement européen adoptent conjointement le texte proposé par la Commission. Le Parlement doit donner son accord final.
Le pouvoir d’initiative (c’est-à-dire de lancer le processus d’adoption d’une loi dans tel domaine) appartient de façon principale à la Commission, de façon accessoire au Parlement, qui peut demander à la Commission de lui soumettre telle proposition de texte qu’il juge nécessaire.
•Compétences budgétaires
Le projet de budget est proposé par la Commission, élaboré par le Conseil de l’Union, soumis au Parlement. Ce budget représente à peu près 1 % du PIB des États membres, ses principaux postes sont la politique agricole et les actions structurelles (développement des régions ou « politique régionale »). Le Parlement n’a le dernier mot que pour les dépenses non-obligatoires.
•Compétences de contrôle de l’exécutif de l’UE
Le pouvoir de contrôle du Parlement se décline ainsi : censurer la Commission (qui doit alors démissionner), approuver le choix du président et des membres de la Commission, poser des questions écrites ou orales au Conseil et à la Commission, etc.
Ceci étant, le pouvoir de censure de la Commission par le Parlement est des plus théoriques : il faut une majorité des deux tiers des parlementaires….
Au final, on voit donc que les pouvoirs du Parlement européen sont soigneusement balisés, qu’il est étroitement subordonné à la Commission et au Conseil des ministres – étant entendu que de toute façon, l’essentiel de l’activité législative a toujours lieu au niveau des parlements nationaux.
La BCE
A tout ceci, il faut ajouter la Banque centrale européenne, dont le rôle est évidemment décisif.
On sait que, selon le traité de Maastricht (1992), son principal objectif est de « garantir la stabilité des prix et du système financier », au détriment d’autres objectifs (encourager la croissance, favoriser le plein emploi…). Pour réaliser cette « mission », il fut décidé de donner à cette institution son indépendance, garantie par des statuts spécifiques : les membres du Directoire, par exemple, sont nommés et inamovibles pour 8 ans.
En conséquence, le conseil de la Banque est truffé de technocrates issus du monde bancaire, d’institutions comme le FMI dont on se doute bien que la sensibilité aux questions sociales est des plus limitée (cf. la proximité du président actuel de la BCE, Draghi, avec les milieux bancaires nord-américains)….
Dit autrement , l’indépendance de la BCE garantit à ses dirigeants la possibilité de mener leur politique « monétariste » sans interférences « des politiques » – ceux-ci sont par nature plus sensibles aux pressions venues d’en bas… La BCE est au service des capitalistes, et d’eux seuls. Pas le moindre contre-pouvoir « politique » n’est prévu pour contenir leurs exigences.
Un édifice bien verrouillé
De ce rapide tour d’horizon, on ne peut que conclure que l’ensemble de l’édifice institutionnel de l’UE est soigneusement verrouillé par les gouvernements nationaux, qui disposent de l’essentiel du pouvoir face à un Parlement dont le rôle est avant tout symbolique. C’est l’ensemble de l’édifice qui a été conçu pour servir les intérêts capitalistes et assurer le pouvoir d’une technocratie aussi éloignée que possible du moindre contrôle populaire.
Ce que facilite cette construction, on a pu en prendre la mesure avec l’activité de la troïka UE-BCE-FMI en Grèce.
Dans ce pays, grâce au chantage aux aides financières, les « experts » impérialistes se sont en fait substitués aux institutions élues du pays. Le budget, la politique économique et sociale, sont désormais pour l’essentiel décidés par la Commission Européenne et la BCE. Le pays est littéralement placé sous le contrôle des « hommes en noir » venus de Bruxelles ou Francfort (siège de la Banque centrale).
Le parlement et le gouvernement grecs sont juste priés d’avaliser et de mettre en œuvre les décisions de la Troïka, qui sont à prendre ou à laisser. Ce n’est pas sans raisons que certains parlent à ce propos de la réintroduction de rapports de type colonial.
Le pire est que depuis le vote du TSCG (Traité pour la stabilité, la coopération et la gouvernance en Europe, ayant instauré « la règle d’or » austéritaire), ce type de relations a été généralisé. Là encore, le vote par les parlements nationaux d’un projet de budget est soumis au contrôle tatillon de la Commission, une institution aussi éloignée que possible du moindre contrôle démocratique.
Une « démocratie » des plus relative
On voit donc qu’il n’existe pas de « démocratie européenne », encore moins d’embryon d’Europe unie. On ne peut que suivre les auteurs du livre En finir avec l’Europe lorsqu’ils parlent à ce propos de « césarisme bureaucratique ».
En toile de fond de tout ceci, il y a le recul économique de l’Europe à l’échelle internationale. Tout ceci aiguise les contradictions. Les résistances sociales (Europe du Sud…), mais aussi la montée des populismes d’extrême droite (UKIP britannique, Vlaams Belang dans les Flandres belges, PVV néerlandais, etc., sans parler du FN en France) rendent l’exercice de la démocratie parlementaire classique de plus en plus contraint. D’où la tendance à renforcer le rôle des institutions non élues, colonisées par des technocrates directement liés aux « milieux d’affaire ».
Dit autrement, l’UE est un ensemble d’institutions au service des principaux impérialismes du continent (avant tout l’Allemagne et la France). Mener une politique un tant soit peu progressiste ne peut donc s’envisager qu’en rupture avec de telles institutions.
Source : NPA