Les élections de mi-mandat se sont déroulées le mardi 5 novembre. La plupart des commentateurs n’ont voulu y voir qu le déplacement à droite, vers les Républicains, du Congrès. Pourtant, bien d’autres enseignements peuvent en être tirés, à la lumière, notamment des campagnes menées pour des élections locales par des candidats se réclamant du socialisme et soutenus par des organisations de la gauche radicale.
Le résultat de ces élections peut sembler contradictoire avec les avancées vers la gauche constatées dans le débat politique américain ces dernières années. Le combat pour le salaire minimum de 15 $, parti de l’Etat de Washington, s’est étendu à l’Alaska, le Nebraska, l’Arkansas et le Dakota du Sud. A San Francisco, un référendum en sa faveur a recueilli 77% des voix. De même, le mariage pour tous a été autorisé dans de nouveaux Etats, ainsi que la possession de marijuana. La mobilisation a permis le rejet de plusieurs mesures anti-avortement au niveau fédéral et la question du changement climatique a vu l’organisation d’imposantes manifestations unitaires, aux tonalités radicales cet automne.
Pourtant, les Républicains apparaissent comme les vainqueurs des élections de mi-mandat. En grande mesure parce que les électeurs qui ont approuvé les mesures progressistes des référendums locaux n’ont pas reportés leurs voix sur les candidats démocrates. Le taux d’abstention a été très important en 2014, particulièrement chez les jeunes ( les moins de 30 ans n’ont représenté que 12% des votants, alors qu’ils étaient 19% en 2012, et les plus de 60 ans 37% en 2014 et 25% en 2012), les noirs et les hispaniques et les classes populaires en général. Par ailleurs, il est révélateur que ces élections de mi-mandat, qui ont vu une abstention record, ont été celles qui ont coûté le plus cher, 4 milliards de dollars ! Résultat de la décision de la Cour Suprême d’autoriser les entreprises à financer sans limitation les candidats.
Dans ces conditions, les résultats des candidats qui se situaient délibérément à l’extérieur du système bipartidaire, à l’extérieur de ce qu’on appelle le « corporate agenda » (l’ordre du jour dicté par les grandes entreprises), sont particulièrement révélateurs. Capitalisant sur la désillusion d’une partie importante de la population envers les Démocrates, ces candidats ont su mener campagne sur les thèmes des inégalités croissantes, du refus de la soumission aux entreprises, de la lutte contre la fracturation hydraulique, du renforcement des services publics, par exemple.
A Seattle, Jess Spear, militante de Socialist Alternative, candidate au Sénat de l’Etat de Washington recueille près de 17% des voix contre un candidat Démocrate lié au business, au terme d’une campagne centrée notamment sur le contrôle des loyers. A Milwaukee (Wisconsin), une militante socialiste indépendante, afro-américaine, soutenue par Solidarity et Socialist Alternative, Angela Walker, se présentait au poste de shériff de la ville. Elle a recueilli 67 000 voix, soit 20% des suffrages, sur la base d’un programme anti-raciste, s’opposant aux brutalités policières et aux incarcérations massives. Cette campagne était menée en coordination avec celle du Green Party pour le poste de trésorier de l’Etat, sur des thèmes anti-austéritaires.
Dans l’Etat de New York, enfin, Howie Hawkins, de Solidarity, se présentait au poste de Gouverneur. Il avait fixé quatre objectifs à sa campagne : obtenir au moins 50 000 voix, ce qui assurait à l’alliance créée autour du Green Party le droit de se présenter en tant que telle à tous les futurs scrutins de l’Etat., dépasser les 5% et engranger le meilleur résultat jamais acquis pour un candidat de la gauche indépendante, déplacer le débat politique à gauche, construire le Green Party en tant que force unitaire au niveau de l’Etat. Tous ses objectifs ont été atteints : 5.3% des voix, soit 176 000 électeurs, un peu moins que les 250 000 espérés, il est vrai, mais avec un taux d’abstention jamais vu . Tous les thèmes de campagne, tant économiques qu’ écologiques ou sociaux systématiquement repris dans les débats télévisés. Des comités de campagne locaux créés autour du Green Party qui regroupent les progressistes et les socialistes et qui vont se transformer en autant de lieux de débats et de propositions, dans le but de créer un parti indépendant des deux partis traditionnels au niveau de l’Etat.
A la veille des élections, Kshama Sawant, élue de Socialist Alternative au conseil municipal de Seattle et Howie Hawkins, ont signé une déclaration commune dans laquelle ils affirment : « de nombreuses manifestations et rassemblements, dans tout le pays, reliant les mouvements sociaux et les organisations politiques de la gauche indépendante pourraient amener à la construction du plus important défi politique de gauche face à l’establishment ».
Des débats entre ces organisations et mouvements ont débuté pour évaluer la possibilité d’une candidature unitaire « indépendante » à l’élection présidentielle, porté par le Sénateur Bernie Sanders.
Avec le renouveau des luttes, comme celle massive des enseignants par exemple, ou celle victorieuse menée à Detroit sur les droits d’accès à l ‘eau potable, les succès électoraux des forces de la gauche radicale et leur enracinement local on voit bien que cette période n’est pas seulement celle d’un déplacement à droite des Etats-Unis. Elle porte en germe de nouvelles perspectives.
Source : ENSEMBLE