« Ecologiste je l’ai toujours été ; anticapitaliste je le suis devenu. J’ai acquis la certitude que le capitalisme doit disparaître si on veut sauver notre peau. Ce sera lui ou nous » : c’est sur cette belle conclusion que s’achève dans Le Vif (28/11) l’entretien avec Vincent Decroly. L’ex député Ecolo, puis indépendant, avait quitté le parlement en 2003. Il annonce aujourd’hui son retour dans la bataille « parce qu’il est temps de construire un nouveau mouvement politique ».
Vincent n’est pas n’importe qui. Des centaines de milliers de gens se souviennent de son rôle dans la « Commission Dutroux » et dans la mobilisation sociale autour de la Marche Blanche. Il s’est radicalisé à gauche, s’est opposé à l’entrée d’Ecolo au gouvernement, a trouvé une source d’inspiration à Porto Alegre (au cours d’un voyage d’étude du budget participatif, organisé par la LCR), puis a rompu avec son parti avant de retourner à la « vie civile ».
Qu’une personnalité de cette envergure revienne dans l’arène politique pour y défendre une alternative anticapitaliste et antiproductiviste est extrêmement positif pour toute la gauche.
Le message de Vincent, pourtant, ne nous semble pas tout à fait clair. En particulier sur un point : s’agit-il de construire un nouveau mouvement politique sur un programme nouveau ? Ou de collaborer à unifier des organisations existantes dans un « mouvement politique » plus large, en cherchant un compromis entre les programmes?
L’interview au Vif penche clairement dans la première direction : Vincent y dit qu’un nouveau mouvement est nécessaire parce que « l’offre politique existante en Wallonie et à Bruxelles ne répond pas à ce besoin » (organiser des citoyens qui ne sont pas engagés). Il semble aussi lancer des exclusives, surtout contre le PTB : « je ne suis pas prêt à m’engager dans n’importe quelle aventure poststalinienne », « ce parti garde une ambiguïté sur la question du productivisme ».
Le lecteur conclut : Decroly tourne le dos à l’appel au rassemblement lancé par la FGTB de Charleroi ; il appelle à profiter des élections de mai 2014 pour lancer une nouvelle formation politique. Cette interprétation est confirmée sur les réseaux sociaux, où VEGA l’assume franchement : « Définir avec qui il y a du sens à travailler et avec qui il n’y en a pas assez, c’est un peu le point de départ de toute action politique, non ? On peut aimer l’auberge espagnole comme principe festif et culinaire sans avoir envie d’en faire la maxime d’une recomposition du paysage politique. » En clair : l’unité, c’est pas notre problème…
Mais les propos rapportés le lendemain (29/11) dans le journal Le Soir font entendre un autre son de cloche. Ici, Vincent se pose en fédérateur de mouvements existants : « Il faut constituer une liste pour les élections de 2014. J’ai des contacts avec une série d’interlocuteurs à gauche et dans la mouvance écologiste (…), des collectifs, des associations (…) des syndicalistes de base et qui se reconnaissent dans le Premier Mai 2012 à Charleroi ». Et le PTB, exclu ? Non : « Ils évoluent… Nous avons des contacts. L’important c’est de réussir à faire émerger quelque chose de solide. Vous verrez. On y est presque ».
Ici, aucune exclusive, le ton est tellement ouvert et positif que le lecteur peut s’imaginer un Vincent Decroly magicien, capable, en quelques jours, d’unifier tout le monde d’un coup de baguette magique : le PTB (« qui annonce un accord avec la LCR et le PC pour 2014 », écrit le journaliste), le Mouvement de Gauche, VEGA, le Mouvement-R de Paul Lannoye (qui se dit pourtant « ni de gauche ni de droite »)…
Alors, nouveau mouvement ou rassemblement ? Quelle est la bonne interprétation ? Et quelle est la place, le rôle, des mouvements sociaux, des syndicats en particulier ?
Dans ses interviews, Vincent cite abondamment la FGTB de Charleroi. Mais il passe à côté de l’essentiel. En effet, Daniel Piron et ses camarades n’ont pas seulement rompu « le lien organique entre le monde syndical et le PS » : en plus, ils revendiquent le droit de s’occuper de politique tout en préservant l’indépendance syndicale. Et, dans leur brochure « 8 questions », ils disent comment concilier les deux: « Nous élaborerons notre programme (…) en fonction d’une seule préoccupation : les besoins des travailleurs et des travailleuses. Nous les encouragerons à s’impliquer activement et démocratiquement, afin que ce programme (…) soit le leur. Alors, nous renverserons la situation. (…) Alors, au lieu que les partis nous dictent leur politique, c’est nous qui exigerons des partis qu’ils s’engagent à lutter pour ce programme ».
C’est sur cette base-là qu’un comité de soutien à l’appel de la FGTB de Charleroi s’est formé en janvier de cette année. En son sein, avec l’aide des syndicalistes, un mouvement en faveur de l’unité politique à gauche s’est amorcé, et il progresse. Prochainement, la FGTB de Charleroi diffusera son projet de « plan anticapitaliste d’urgence », comme décidé lors de l’assemblée de la Géode, en avril dernier. La LCR s’est déjà prononcée : pour les élections de 2014, elle mènera campagne avec le PTB. Il semble que le PC prenne la même décision. Bref, on avance vers une bataille commune pour que les revendications anti-austérité aient un prolongement politique crédible…
On se pose alors la question suivante : pourquoi Vincent fait-il comme si tout cela n’existait pas ? Si son objectif est de construire une nouvelle formation, tout s’explique… Mais s’il veut rassembler toute la gauche sur une base anticapitaliste afin qu’une voix de gauche se fasse entendre demain au parlement, alors cela devient incompréhensible. En réalité, les convergences ne peuvent se construire à partir de déclarations personnelles dans les colonnes des journaux et d’une prise de position abstraite sur l’antiproductivisme. Elles ne peuvent se construire que sur le terrain, dans le travail collectif, à partir des demandes de celles et ceux qui luttent au quotidien. Un processus est en cours autour de la FGTB de Charleroi, continuons à le soutenir et à l’alimenter !
image: Le Vif