Le samedi 16 avril, à 14h, Place St Lambert à Liège, se tiendra le rassemblement pour la manifestation vers le centre fermé pour étrangers de Vottem.
La Gauche, périodique de la LCR, a interviewé France Arets, porte-parole du CRACPE qui organise cette manifestation en collaboration avec de nombreuses associations et organisations.
Vottem, camp de la honte, pourquoi ?
France Arets : Le centre fermé pour étrangers de Vottem a été ouvert en mars 1999. Cela fait 17 ans. Tout au début, et même avant l’ouverture, il y eut d’importantes manifestations contre cet univers carcéral. En 2006, on a encore connu une grande mobilisation, quand il fut question d’y enfermer des enfants. La mobilisation reste présente, avec la manifestation annuelle devant le centre fermé, mais aussi la présence du CRACPE (Collectif de résistance aux centres pour étrangers), devant les grilles de cette prison particulière, tous les samedis après-midi.
En Belgique, on compte cinq centres fermés : Bruges, Merxplas (Anvers), les centres 127 bis et Caricole, près de l’aéroport de Zaventem, et Vottem. Dans ces centres, sont placées des personnes qui ont reçu une réponse négative à leur demande d’asile ou de régularisation, qui sont restées, à l’issue d’un visa de trois mois, d’un séjour étudiant, ou qui sont totalement clandestines sur le territoire. Ces derniers temps, on a enfermé également dans ces centres des personnes qui attendent un enregistrement de leur demande d’asile, surtout des Afghans. C’est choquant et c’est contraire à la procédure officielle. Normalement, ces personnes doivent résider dans un centre ouvert. Cela a été une des réponses de Théo Francken, secrétaire d’Etat à la Migration, au manque de place en centre ouvert !
Ces centres fermés ont comme fonction première l’expulsion du pays. On peut estimer qu’environ 75% des personnes placées dans ces centres sont expulsées. On a comptabilisé en 2015 près de 6000 expulsions. Il faut compter, parmi celles-ci, des « refoulements ». Il faut savoir qu’ il y a, dans chaque aéroport, des centres INADS (« inadmissibles »), à Zaventem, Bierset, Charleroi, Ostende, où des personnes sont arrêtées dès la sortie de l’avion : pas de papiers en règle, pas de justification de moyens de subsistance ou encore pas d’adresse pour un hébergement en Belgique. Elles sont refoulées, dans les jours qui suivent, sauf si elles pensent à demander l’asile. Pour l’année 2014, on comptait environ 1500 refoulements à partir des aéroports.
Il y a également les retours dits « volontaires » : plus de 4000 en 2015. Il s’agit de personnes qui, au bout d’une longue procédure de demande d’asile, reçoivent une réponse négative, finissent par se dire qu’elles n’ont plus d’autre choix qu’un retour « volontaire » en avion. A tout prendre, c’est moins dangereux qu’un retour forcé, menottes aux poignets. On a encore en mémoire l’assassinat, en 1998, de Samira Adamu lors de son expulsion. Egalement, on a perdu la trace de personnes expulsées en République Démocratique du Congo, des France : Si on reprend les chiffres de l’année 2015, on évaluait à 1 million 250.000 le nombre de personnes qui ont obtenu un statut de réfugiés dans l’UE. C’est une goutte d’eau en comparaison du nombre de réfugiés, soit déplacés à l’intérieur de leur propre pays, soit dans les pays voisins.
La politique de l’UE vis -à-vis des demandeurs d’asile est tout à fait scandaleuse : refouler les immigrés de la Grèce vers la Turquie, payer la Turquie pour qu’elle fasse le tri en refoulant dans leur pays, par exemple la Syrie, une bonne partie de ces réfugiés et accorder à d’autres, sur base de quels critères ( ?) le droit de séjour dans l’UE. Avant, ces réfugiés en Turquie étaient placés dans des centres ouverts ou des camps de tentes en attendant que leur sort soit réglé. Maintenant, ils sont placés immédiatement dans des centres fermés, des « centres de de rétention », enferpersonnes liées à des courants d’opposition. On sait qu’il y a des personnes expulsées qui sont, à leur retour, torturées, ou qui disparaissent. Il faut rappeler que la plupart des demandeurs d’asile ont fui des situations de danger avec des risques réels pour leur vie, qu’il s’agisse de guerres, de persécutions, etc. Ils et elles ont tout sacrifié pour venir ici, en dépensant des sommes énormes. A partir de Vottem, il y a des expulsions tous les jours.
Il y a même eu un suicide, il y a quelques mois d’ici !
France : ça s’est passé au mois de décembre 2015 et c’est révélateur de beaucoup de choses. Roger Kalemba, un ressortissant congolais, vivait à Liège depuis une quinzaine d’années. Il avait demandé l’asile, mais, comme beaucoup de demandeurs d’asile, il avait reçu une réponse négative. Il vivait dans la clandestinité et la précarité. Il ne voulait pas rentrer au Congo, à cause de la situation politique très tendue, avec les mesures répressives, et aussi parce qu’il avait tissé des liens ici, qu’il avait organisé sa vie sociale en Belgique, à Liège en particulier. En décembre, Roger a été contrôlé et arrêté dans le centre ville. Nous avions, il y a quelques années déjà, mené des actions et pris des contacts avec le bourgmestre de Liège pour qu’il n’y ait pas de chasse aux sans-papiers dans les rues de Liège. Mais voilà, Roger fut une des victimes du « niveau 3 », suite aux attentats de Paris. C’est dans tout le pays que les mesures sécuritaires ont, comme un des résultats collatéraux, l’interpellation de personnes, dont toute une série de sans-papiers qui n’ont strictement commis aucun délit. Roger fut immédiatement conduit manu militari au centre fermé de Vottem. Le centre fermé est un univers carcéral. Quand on est là, on sait que d’une minute à l’autre, on peut venir vous chercher dans votre chambre, vous mettre en isolement pour l’expulsion qui aura lieu le lendemain matin. Quelqu’un qui craint d’être expulsé, qui, pendant des années, est resté sur le qui-vive, vivant dans la précarité la plus totale, qui ne veut pas rentrer dans son pays, sachant ce qui l’attend là-bas, peut en arriver à cette extrémité : le suicide. C’est ce qui s’est passé avec Roger.
Voilà pourquoi « Vottem, 17 ans, je ne l’accepte toujours pas ». Parce que ce n’est pas acceptable d’enfermer des personnes qui n’ont été jugées coupables d’aucun délit, mais placées en détention parce qu’elles n’ont pas de papiers, c’est-à-dire de titre de séjour. La situation actuelle fait qu’il y a toujours 10 000 raisons de quitter son pays et de chercher à vivre ailleurs pour échapper au danger, pour vivre en sûreté, décemment avec sa famille. Pas seulement pour fuir les guerres, comme les Syriens, ou la dictature, mais aussi parce que le pays est victime d’une catastrophe climatique, victime de l’impact de la dette dite du « Tiers monde » ou encore des ravages économiques, sociaux, humains, provoqués par les donneurs d’ordre de l’OMC (l’Organisation mondiale du Commerce), du FMI (Fonds monétaire international), des multinationales…
Cette année, la manifestation au centre fermé prend encore d’autres significations, « à l’heure où l’Union européenne ferme ses frontières, bafoue le droit d’asile et la liberté de circulation ».
més pendant le temps où leurs dossiers sont traités.
Cette situation n’est pas nouvelle. Depuis des années déjà, on va vers une externalisation de la question de l’asile, avec la gestion des demandes d’asile aux frontières extérieures de l’UE. Depuis des années, on refoule par exemple, du Maroc vers la Mauritanie, des personnes qu’on lâche en plein désert.
Il y a aussi un autre type d’accord que celui passé entre l’UE et la Turquie : un accord passé entre l’UE et l’Afrique, avec le financement de deux fois 1 ,8 milliards d’euros pour l’ouverture de camps. Ainsi est prévue la mise en place d’un camp à Agadez au Niger pour organiser le retour vers leurs pays d’origine des migrants d’Afrique de l’Ouest.
Importance aussi de la manifestation « à l’heure où le gouvernement belge traque ceux qui ont cherché accueil ici, pour les enfermer et les expulser ».
France : Les gouvernements précédents ne sont pas blancs comme neige. Ils ont mis en place les centres fermés et organisé des expulsions. Il y eut toutefois deux opérations de régularisation suite à des mobilisations importantes en 2000 et en 2009.
Mais ce gouvernement va un cran plus loin. L’objectif de Théo Francken et de la NVA, c’est d’augmenter encore le nombre d’expulsions. A Vottem, pendant des années, trois ailes du bâtiment étaient occupées. Maintenant, ce sont les quatre ailes qui fonctionnent à temps plein. Et le secrétaire d’Etat à la Migration prévoit un nouveau centre fermé pour les familles. En 2015, il a expulsé 1000 personnes de plus, et l’objectif est d’en ajouter 1000 en 2016.
Un tas de petites choses sont passées inaperçues, sauf pour les personnes concernées. Par exemple, les demandes de régularisation, de regroupement familial, maintenant ça se paie. L’introduction d’un dossier de régularisation, c’est 215 euros. Il y a aussi la traque aux « mariages blancs » : tout mariage est supposé être a priori un « mariage blanc ».
On expulse vers Kaboul en Afghanistan, soi-disant parce que la situation là-bas n’est plus une zone de danger. On expulse vers Bagdad en Irak, alors qu’il y a là-bas quasiment tous les jours des attentats. Bref, il y a un durcissement dans tous les domaines. Plus récemment est arrivée la charte que les réfugiés doivent signer. Cette charte, dont le texte n’est pas facile à comprendre, est tellement complexe et complète qu’on peut se demander quel citoyen belge pourrait respecter tout cela (respect de toutes les valeurs etc.). Il y a aussi la menace d’expulsion des demandeurs d’asile en centre ouvert, fauteurs de troubles, et l’expulsion des personnes d’origine étrangère qui ont commis un délit et ont été condamnés. C’est une forme de double peine. Au lieu de sortir de prison après avoir purgé leur peine, toutes les personnes qui ne sont pas en ordre de séjour et qui ont eu une condamnation sont immédiatement amenées dans les centres fermés pour leur expulsion, et ce indépendamment de leur situation familiale.
On a connu à Vottem des situations dramatiques : des pères de famille qui avaient eu une petite condamnation pour des faits sans commune mesure avec les évasions fiscales « Panama Papers » ! Ainsi, se retrouvent au centre fermé des personnes qui ont eu une condamnation pour un vol à l’étalage ou encore un recel d’objet volé sans le savoir…et qui sont menacées d’expulsion, alors qu’elles ont une épouse et des enfants en Belgique.
Il y a derrière cela une manipulation de l’opinion publique qui va dans le sens de l’extrême-droite. On pousse à l’amalgame : les étrangers, les migrants sont des criminels. Ce n’est pas étonnant, quand cela vient d’un parti comme la NVA, qui pousse plus loin ce qui avait été fait par d’autres gouvernements.
Depuis les attentats de Paris et Bruxelles, les personnes d’origine étrangère, qu’il s’agisse de candidats réfugiés nouveaux arrivants ou des personnes déjà ici, avec ou sans papiers, sont stigmatisées par une partie de l’opinion publique. C’est important de réaffirmer notre solidarité avec les réfugiés, les sans-papiers, d’aller à contre-courant de cette manipulation de l’opinion publique et de cet amalgame qui est en train de se faire : tous les réfugiés sont des terroristes potentiels, tous les sans-papiers sont des délinquants potentiels, etc. Méfions-nous des sondages réalisés sur des échantillons restreints et sur la manière dont sont posées les questions. Mettons en évidence toutes les initiatives qui se multiplient en faveur des réfugiés !
Il est important d’être nombreux à la manifestation Vottem, en ces temps où l’extrême-droite se manifeste et tente de se renforcer !
Et les revendications qui seront rappelées dans cette manifestation ?
France : En fait, elles sont toujours les mêmes : la suppression des centres fermés ; l’arrêt des expulsions ; une politique d’asile et d’immigration respectant les droits humains, le droit d’asile ; mais aussi la liberté de circulation et d’installation, le droit de vivre en famille.
Propos recueillis par Denis Horman